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Los Campesinos! prouve que de grandir, c'est pas l'enfer

Avec All Hell, un septième album en carrière, le groupe gallois offre son album le plus mature et revendicateur. Entrevue exclusive avec le leader Gareth David Paisey.

Los Campesinos! prouve que de grandir, c'est pas l'enfer
Adam Whitmore

Dans une année surtout marquée par le grand retour de la girl pop, la domination sans cesse grandissante du country et le déluge de musiques générées par l’intelligence artificielle, il semble que la scène indie-rock a dû prendre une pause des projecteurs.

Ce n’est pas Los Campesinos que cela ébranlera. Dix-huit ans après leur formation à l’Université de Cardiff, dans le Pays de Galle, l’éminent groupe a livré cette année All Hell, un septième album studio en carrière et leur plus grand succès commercial à date, se hissant à la 14e position du palmarès des albums au Royaume-Uni.


Toutefois, All Hell détonne des autres bons vendeurs de 2024, bien qu’il ait toute la sincérité et la nostalgie libératrice d’un Brat et qu’il donne dans le rock triste avec plus de raffinement subtil qu’un Manning Fireworks. C’est probablement le plus Los Campesinos! des albums de Los Campesinos!; une synthèse de l’éthos et l’esprit du groupe. Autofinancé, autoproduit, c’est de l’indie à l’état pur.

On ne s’y attendait pas forcément, pour un groupe qui ne nous avait pas donné un nouvel album depuis plus de sept ans. Ayant à leurs débuts surfé la vague indie-pop scintillante et colorée fluo de l’époque de MySpace et American Apparel, Los Campesinos! profitent, aujourd’hui (et malgré eux) d’une popularité renouvelée auprès d’une jeune génération grâce à l’explosion de TikTok. Mais ne nous trompons pas, All Hell est probablement l’album le plus «adulte» et abouti du groupe.

Il y a près de 12 ans que Los Campesinos! ne s’est pas produit à Montréal, me rappelle le leader Gareth David Paisey, enfilant ses lunettes pour consulter sa fiche Excel méticuleusement entretenue où il note chaque concert qu’a fait le groupe, depuis ses débuts. Le groupe devait se produire à Montréal en 2011, mais il a été retenu au Royaume-Uni à cause de l’éruption d’un volcan en Islande, se souvient-il. «C’était au même moment où nous devions faire le Late Night Show, avec David Letterman. On avait donc décidé de faire Letterman, aux dépens de Montréal, ce qui est plate, mais ça a probablement été le plus grand moment de notre carrière!»

Dès leurs débuts à la fin des années 2000, le groupe a réussi à se tailler une place dans la scène indie-pop florissante que mettaient de l’avant des labels comme Wichita Recordings (Bloc Party, Yeah Yeah Yeahs) et Arts&Crafts (Feist, Broken Social Scene). Après ce passage à Letterman, il y a eu des publicités pour Budweiser et des placements dans des films, des tournées partout dans le monde.

Mais la réalité de l’industrie a changé drastiquement et, à travers les années, Los Campesinos! ont réussi à naviguer le tout avec intégrité, en s’appuyant sur leur communauté et leur propre expertise pour poursuivre l’aventure sans l’aide financière de labels ou une équipe de gérance. Les membres du groupe vivent aujourd’hui d’autres métiers que la musique. Certains se sont mariés, d’autres ont eu des enfants. La pandémie, aussi, leur a appris à opérer différemment. Ces jours-ci, Los Campesinos! est traité par les membres du groupe comme une PME, que Gareth gère avec tout le sérieux du monde.

«Pour nos trois premiers albums, nous avions eu la chance d’être signés, ce qui nous donnait accès à du financement pour nos albums et nos tournées et nous a fait profiter de plus de rayonnement que beaucoup de groupes de l’époque. C’est à ce moment-là que notre public s’est vraiment construit, dit Gareth à propos de leur transition vers l’indépendance. Mais je crois qu’il y a beaucoup de groupes signés sur des labels qui continuent à faire la même chose avec de moins bons résultats parce qu’ils ne changent pas leur manière de penser ou d’opérer. Nous avions réalisé qu’il y avait un moyen pour nous et le public de faire quelque chose de plus gratifiant et éthique en tant que groupe. Depuis 10 ans maintenant, on a été capables d’opérer comme ça.»

Si beaucoup des groupes de leur époque ont depuis eu le temps d’atteindre la notoriété, de s’être séparés puis reformés pour des tournées de réunion lucratives, Los Campesinos! ont préféré simplement prendre leur temps avant de revenir avec du nouveau matériel. Ils auraient très bien pu multiplier les tournées d’anniversaire de leurs premiers albums, jouer avec la nostalgie du public, mais celui-ci est bien trop perspicace pour se laisser berner de la sorte. Dès sa fondation, le groupe a été honnête par rapport à ses convictions politiques; leur nom se traduisant à «Les Paysans» et révélant leurs allégeances socialistes. Malgré les avis de leurs labels, c’est probablement cette transparence qui a valu à Los Campesinos! un public aussi dédié à travers les années.

«En tant que jeune groupe qui profitait d’un buzz, on nous disait que de parler de politique nous ferait manquer nos objectifs de ventes, que les gens n’aimeraient pas autant notre musique. Très vite, je crois que n’importe quel groupe intègre se rend compte que c’est de la merde, que le plus important c’est d’être honnête dans ses convictions. Évidemment, ça n’a jamais été un outil promotionnel pour nous. Mais je suis certain qu’il y a des gens qui ont vu ce en quoi on croyait et qui se sont dit, "Ça m’a l’air d’être de bonnes personnes, je vais aller écouter ce qu’ils font".»

Pourtant, «être une bonne personne» semble être à l’antithèse du style dense, impactant et autocritique auquel Gareth nous avait habitués. Si sur leurs premiers projets, en particulier We Are Beautiful, We Are Doomed, Gareth pose un regard dur, critique et extérieur sur lui-même, il trouve sur All Hell la liberté de pointer le doigt aux «vrais» responsables des maux qui affligent notre société. Pas nécessairement qu’il ait gagné en confiance; il se blâme toujours lui-même pour ses propres torts et sa facilité à se tourner vers la boisson (The Order of the Seasons), se voit comme une carte de tarot de la Mort insérée dans un jeu de poker et porte son acné d’adulte comme un stigmate (Adult Acne Stigmata). Plus cash encore, il se demande sur Hell In a Handjob si la branlette qu'il reçoit l'enverra en enfer. Mais il est assurément plus revendicateur que jamais.

«En enregistrant un album dans le contexte actuel, c’est impossible d’écrire quelque chose d’honnête et ouvert sans pointer les choses du doigt et clairement exprimer comment on se sent. Ce n’est pas nécessairement un choix délibéré, c’est surtout que pour écrire un album honnête, il fallait que j’y inclue ma vision du monde plus élargie. On s’est mis à enregistrer la semaine juste après les événements du 7 octobre. On ne peut pas ignorer ça, c’était inévitable que tout ça transpirerait dans l’album.»

Mais sur cet album, écrit et enregistré en quelques semaines à la fin 2023, il renforce ses convictions et ses tourments, trouvant (ou perdant) l’amour entre les «ACAB!» et les opérations de sabotage de campagnes de chasse (Paisey a été nommé pour Végétarien le plus sexy de 2009 par PETA). Dans ce qui est probablement l’une des chansons les plus romantiques du groupe à date, Feast of Tongues, il veut «faire un festin avec les langues des derniers lèche-bottes». Ailleurs, il rêve de démanteler le capitalisme grâce à une guillotine à pièces. Il ne mâche pas ses mots, quand il parle des artistes qui sont plutôt des créateurs de contenu, qui ne font que renforcer les idées promulguées par les compagnies desquelles ils reçoivent des commissions sur leurs liens affiliés.

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Ce qui rend cet album d’autant plus poignant est l’impression que l’on a d’avoir grandi avec le groupe. Si leurs chansons de 2008 se prêtaient bien à être la personne un peu maladroite avec son crush qu’on croise dans un bar, All Hell semble presque être le genre de constat que l’on se fait seul dans la voiture, au retour d’une fête de famille qui a tourné au vinaigre.

Le choix de ne pas avoir d’enfants était-il le bon? («Ne me méprenez pas, j’adore les enfants de mes amis/je suis certain qu’ils rendront leurs parents fiers et seront de bons gauchistes» se lamente Paisey sur Holy Smoke, avant de se souvenir qu’ils «n’achètent pas les bières que je bois, et ne boivent pas les bières que j’achète»). Il questionne son attirance pour les «filles athées à la culpabilité catholique» sur Psychic Wound, ou encore la pertinence de la police, en discussion avec ses parents («Vous êtes tous d’accord que la police ne sert à rien/Ils veulent qu’elle soit plus stricte, tu veux qu’elle soit définancée») sur Long Throes.

«Plus le monde devient fucked up, plus ça fera partie de notre musique. Maintenant qu’on a presque 40 ans, nos préoccupations sont différentes qu’il y a 20 ans. Nos vies personnelles sont en quelque sorte établies, alors on peut se tourner vers autre chose, des choses plus vraies et concrètes», estime Gareth.

Cette urgence politique se reflète directement dans la construction même des chansons. Si les premiers albums du groupe transformaient l'anxiété personnelle en explosions sonores chaotiques, All Hell canalise la colère collective en quelque chose de plus contrôlé mais tout aussi percutant. Les refrains scandés en chœur prennent des allures d'hymnes de manifestation et les montées instrumentales semblent construites pour accompagner des moments de tension sociale plutôt que des drames adolescents.

Sur le plan musical, All Hell navigue habilement entre les signatures du groupe - des explosions cathartiques de guitares frénétiques et des cordes stridentes - et une production plus raffinée que leurs albums précédents, qui fait la part belle aux arrangements. Les mélodies sont plus travaillées mais conservent cette urgence caractéristique. On délaisse les structures pop alambiquées de leurs débuts pour des compositions plus directes. Si la production est plus léchée, elle n'en perd pas pour autant son côté organique: les voix superposées du chœur, marque de commerce du groupe, donnent toujours cette impression de communion spontanée, ce qui explique peut-être que Gareth a parfois l’impression que leur groupe s’apparente plutôt à une équipe de soccer, et leurs concerts à des matchs.

Si l’indie-rock britannique était réellement une ligue, il n’y a aucun doute que Los Campesinos! seraient qualifiés pour les finales cette année avec All Hell. C’est un album qui distille l’essence et le son du groupe, et qui prendra assurément sa place très haut dans leur discographie.

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