Qu’est-ce qui occupe Alexandra Stréliski par les temps qui courent? «Je suis complètement en période de jachère en ce moment et je l’accepte», a-t-elle confié avec sa transparence habituelle au public suspendu à ses lèvres de C2 Montréal. Voilà qui démarre bien une conférence nommée L’art de s’arrêter pour mieux écouter. (Par souci de transparence, cette rencontre animée par le maraîcher Jean-Martin Fortier était présentée par Rolling Stone Québec.)
À l’instar du populaire agriculteur coiffé de son éternel chapeau, le travail créatif de la pianiste est cyclique. Après deux ans à se produire en spectacle aux quatre coins du monde, la musicienne prend désormais un malin plaisir à contempler le vide. Ce qui peut être terriblement angoissant. «Le cellulaire est notre ennemi #1 là-dedans, dit-elle. Il faut prendre le temps de ne rien faire, de regarder le mur. C’est inconfortable. Ça nous ramène à notre solitude, mais cette zone est essentielle pour laisser les choses naître.»
À plusieurs reprises, Alexandra Stréliski est revenue sur la nécessité de donner un sens à ce qu’elle fait, sur l’importance de «se ploguer sur le sens», ce qui requiert de la lenteur. «On a besoin de recul, ce qui est difficile quand on est dans la roue et que tout va vite. La perspective donne du sens. Pourquoi je fais ça? Parce que c’est vital.»
La réponse à cette grande question – «pourquoi je fais ça?» – a évolué depuis le début de sa carrière. Récipiendaire de 10 Félix et ayant vendu plus de 100 000 billets de concert, la musicienne a réalisé l'exploit de vivre de sa musique au cours des dernières années, ce qui, pour elle est un privilège en soi. «Alors qu’est-ce que je veux maintenant? Pourquoi je continue? Je suis en train d’apprivoiser cette réalité.»
Elle détaille sa pensée après coup en entrevue. «Aujourd’hui, si je continue à faire ça, c’est parce que je sais que ça fait du bien aux gens. C’est le geste le plus utile que je peux poser. C’est ma façon de résister à la violence et de communier avec mes fellow human beings.» La pianiste voit la musique comme acte de résistance, rien de moins.
Le plus dur et en même temps le plus nourrissant, c’est de se mettre au service de l’émotion.
Généreuse, Alexandra Stréliski a aussi partagé ses «astuces lenteur». D’abord : être présente, ce qui se traduit dans son cas par le simple geste de s’assoir au piano. Ensuite : ne pas accorder trop d’importance à la petite voix en elle qui tend vers l’autosabotage. «Il faut accepter la petite Carole méchante, mais ce n’est pas elle qui conduit l’autobus», a-t-elle joliment illustré sous les rires nourris de l’audience. Enfin : rester curieux et faire les choses différemment. «Brisez les patterns, amusez-vous à voir ce qui se passe. Ça libère la créativité et ça génère des idées.»
Jean-Martin Fortier et Alexandra Stréliski à C2 Montréal
Lorsque Jean-Martin Fortier l’a invité à donner un conseil au public, l'artiste a spontanément lancé : «Allez en thérapie», suscitant une nouvelle salve de rires. Aller en thérapie, mais aussi consommer de l’art. Et pourquoi pas, en créer, peu importe son talent. «Ça peut être de faire partie d’une chorale, n’importe quoi. Faites du coloriage et allez en thérapie!»
Plus sérieusement, elle est revenue sur l'épuisement professionnel qu’elle a vécu alors qu'elle faisait carrière dans le milieu de la publicité, ce qui l’a menée à revenir à l’essentiel. «Le plus gros du travail que j’ai eu à faire dans ma vie était le travail sur moi.»
Question de conclure sa conférence sur une bonne note, Alexandra Stréliski a offert sa première prestation devant public depuis janvier en interprétant deux compositions populaires de son répertoire au piano : Changing Winds et Plus tôt, titre durant lequel nul autre que Grand Corps Malade est venu l’accompagner à la voix. Un moment de communion comme elle les chérit, vécu dans un silence absolu, qui nous a procuré pour un court instant l'effet d’une thérapie de groupe.