Si vous vous êtes déjà promené backstage dans un festival, ou dans le stationnement privé d’un aréna pendant un concert, vous avez sûrement remarqué quelque chose: une rangée d’autobus de tournée. Si vous êtes attentifs, vous avez probablement aussi remarqué le même nom sur tous les bus: Prevost.
L’histoire de ces autocars, comme celle de tous les autobus de tournée en Amérique du Nord, ne commence pas à Los Angeles, mais bien en banlieue de Québec.
C’est là que je me retrouve un matin pluvieux, le lendemain du concert de Def Leppard au Festival d’été, à Sainte-Claire, à environ trente minutes de la ville. Dès qu’on entre dans le village, on ressent l’impact de Prevost, fleuron local et national; de loin le plus grand employeur de la région. On y retrouve encore la maison du fondateur, comme celles de la plupart de ses descendants, dont Marco Prévost, son petit-fils, qui me fait faire le tour de l’impressionnante usine.
La dynastie familiale débute, m’explique-t-il, lorsque son aïeul Eugène Prévost, ébéniste de métier, est contracté pour bâtir un châssis de camion REO, qui servira à transporter les villageois vers la capitale.
De la guerre à la gloire des tournées
Rapidement, ses talents se font connaître et il reçoit plusieurs offres de contrats, mais il se limite à un seul châssis d’autobus par an, sa spécialité étant dans la confection de bancs d’église. En 1939, il inaugure une première usine dédiée à la fabrication d’autobus, ce qui lui permettra d’augmenter la production à dix véhicules par an. Cela tombe à point: Prevost reçoit lors de la Deuxième Guerre mondiale un large contrat du ministre de la Défense.
Le premier autobus Prevost, bâti en 1924
Devenant peu à peu le plus grand fabricant d’autocars du continent, ce n’est que dans les années 1980 que Prevost commence à se spécialiser dans les autobus de tournée pour les artistes, s’imposant vite comme la seule référence en la matière.
«Aujourd’hui, il y en a environ 1 500 à travers l’Amérique du Nord, et on couvre essentiellement toute l’industrie du spectacle, puisqu’on est les seuls dans ce segment-là de l’industrie», m’explique François Tremblay, président de Prevost.
Un ingénieux savoir-faire made in Québec
Ce qui fait réellement la différence est la structure du châssis des autobus, qui sont tous construits à Sainte-Claire. Normalement, les véhicules récréatifs et motorhomes sont montés sur des structures de camions, sur lesquelles on fixe une coquille en fibre de verre. «Comme vous pouvez imaginer, avec le temps, tout ça se met à bouger et les choses deviennent un peu croche», dit Tremblay. De bâtir sur un châssis d’autobus en acier inoxydable rend facile de pouvoir d’affixer la structure de telle manière que, 10 ou 15 ans plus tard, rien n’a bougé. Même si le convertisseur installe du marbre ou des carreaux à l'intérieur, «le plancher ne craquera jamais».
L'auteur fait la visite de l'usine, accompagné de Marco Prévost, descendant du fondateur de l'entreprise
Cette durabilité se traduit par des chiffres impressionnants : les véhicules Prevost sont construits pour durer en moyenne 20 ans, accumulant souvent plus de 1,6 million de kilomètres en carrière. Pour assurer ces standards, chaque autobus fabriqué à Sainte-Claire doit d’ailleurs passer de rigoureux tests. Une salle conçue spécialement reproduit toutes sortes de climats et d’intempéries, afin de s’assurer que les autobus puissent passer d’une tempête de neige à Thunder Bay au désert californien sans souffrir.
Une maison sur la route
Pour les professionnels qui vivent sur la route, la qualité de conduite n'est pas un luxe, mais une exigence de survie.
Pour un artiste, de passer de tourner dans une minivan à un vrai bus de tournée améliore grandement la logistique, mais aussi la santé et le moral de l’équipe. Comme le note Clark, d’avoir un bus évite de devoir payer des chambres d’hôtel, ou encore de s’arrêter manger chaque repas dans un restaurant, puisqu’une cuisinette y est installée. Surtout, on évite le plus gros problème de chaque voyage en voiture, car chaque bus dispose d’une toilette, certains étant même dotés d’une douche.
Pour une tournée comme Cowboy Carter Tour, la plus récente de Beyoncé, c’est un point crucial de la logistique, puisque la diva pop a commandé pas moins d’une trentaine de Prevost.
Un autre aspect qui pousse les plus grands artistes, mais aussi des pilotes de Formule 1, des banques mobiles en milieux ruraux, et même le président des États-Unis à choisir Prevost est qu’ils sont infiniment personnalisables. Justin Bieber, me révèle François Tremblay, a même fait installer un foyer dans le sien. Si Prevost sont les seuls à fabriquer ce type d’autobus, plusieurs convertisseurs se spécialisent dans l’aménagement intérieur des véhicules.
François Tremblay pose devant l'usine, avec l'autobus Rolling Stone x NXNE
Une fois les près de 9 000 pièces de chaque bus assemblées, ce qui prend environ 48 jours, ils sont envoyés chez différents convertisseurs qui y installeront ce qui est nécessaire selon le client et le modèle d’autobus. Ce sont dans des autobus de l’entreprise québécoise que se déplacent la plupart des équipes sportives, au niveau amateur comme professionnel. Pour les pilotes de F1, leur motorhome sur mesure devient un QG.
Infiniment personnalisable
Pour certains artistes, ça sera une chambre complète, ou encore un studio d’enregistrement. Comme me le révèle Laura Jean Clark, le bus-studio qui suivait Drake en tournée dans ses débuts était vital à ce qui deviendrait certains de ses plus grands hits.
Tour de l'autobus de tournée de Def Leppard
D’autres clients ont des besoins plus particuliers, comme Ground Force One, nom de code des deux autobus Prevost utilisés par le président et les Services secrets américains. Équipés de systèmes de communication hypersécurisés et d’une myriade de fonctionnalités secrètes, ils sont montés sur les modèles X3-45 VIP; comme celui que j’ai pu voir être assemblé ce matin à Sainte-Claire. Selon les Services secrets, Prevost était le seul fabricant à avoir un châssis capable de soutenir le poids que nécessitait la conversion et l’ajout d’un système de sécurité aussi important.
La promesse d’une tournée plus verte
Aujourd’hui, le site de l’usine originale bâtie par Eugène Prévost sert de centre de recherche et développement pour l’entreprise, qui se doit de constamment se réinventer. Dans les années à venir, me dit François Tremblay, le plus gros enjeu sera l’électrification de leurs autobus. Les premiers bus de tournée électriques pourraient voir le jour dès l’an prochain.
«De plus en plus d’artistes tentent de réduire leur empreinte carbone. Lorsqu’on passe de stade en stade, durant une tournée, c’est assez simple de brancher le camion et d’être prêt à reprendre la route vers le prochain arrêt. Mais, bien sûr, l’autonomie reste le plus gros défi.»
Les modèles ont changé, le marché aussi, mais l’esprit artisanal imaginé par Eugène Prévost reste perceptible dans chaque détail. Les artistes qui dorment, écrivent ou fêtent à bord de ces véhicules n’en ont peut-être pas conscience, mais ils habitent sans le savoir un fragment du Québec.