La chanteuse R&B montréalaise Shah Frank présente aujourd’hui Aura, son premier projet entièrement en français, une décision importante pour une artiste qui s’est d’abord illustrée en anglais. Ce changement marque un tournant dans sa carrière, alors qu’elle explore de nouvelles façons de raconter les histoires qui ont façonné sa vie. Pour cet album studio qui paraît chez 7e Ciel, elle a eu droit à l’aide et l’accompagnement d’Imposs, vétéran du hip-hop québécois.
Passer de l’anglais au français n’est pas qu’un simple exercice stylistique pour Shah Frank; c’est une manière de plonger plus profondément dans son identité artistique et culturelle. Elle se rappelle d’ailleurs de la première fois que l’idée lui est venue. «Quand je sortais mon premier EP en anglais, je l’ai fait écouter à mes parents. Ils sont Haïtiens, donc leur première langue est le créole, suivi du français. Ils parlent anglais, mais ne pouvaient pas connecter autant avec mes chansons, se souvient la chanteuse. Quand j’ai sorti ma première chanson en français il y a deux ans, de manière un peu random, je leur ai fait écouter. C’était tellement beau de voir leur réaction! Mes parents dansaient le salon, j’avais vraiment l'impression de revivre un moment d’enfance.»
Bien qu’elle ait grandi en français, elle n’en concède pas moins que de s’essayer au R&B francophone est un exercice compliqué. Mais, étant Scorpion, elle a choisi de le voir comme un défi. «En français, il y a des codes à respecter, ce n’est pas la même structure. Bizarrement, j’ai dû apprendre à chanter en français, même si je le parle très bien. Parce qu’en anglais, s’il manque un mot, tu peux tricher et ajouter un ‘oooh’ ou un ‘baby’. En français, le ‘baby’, ça fonctionne pas!»
Il y a dans ce sens une qualité unique au type de R&B franco que pratique Shah Frank, puisqu’elle n’édulcore pas ce qui faisait la typicité de son travail en anglais: ça reste accrocheur, motivant, sensuel, dans la veine du son des années 1990 qui ont bercé son enfance, mais informé par un style de production urbain, global et contemporain. «Lorsque je faisais mes toplines, je les faisais instinctivement en anglais, puis je les refaisais en français. Ça pourrait pas mieux me représenter: je suis Haïtienne, Américaine et Québécoise!»
Malgré les doutes et inquiétudes de Shah Frank, cette exploration du français donne lieu à des paroles très sensibles et bien fignolées. Les thématiques de l’amour, de liberté et de résilience, déjà présentes dans son œuvre précédente, trouvent ici une résonance différente grâce à la musicalité de la langue.
Musicalement, Aura s’appuie sur des bases solides. Les rythmes RnB sont enrichis par des touches d’afropop, de zouk et de hip-hop, offrant un équilibre entre modernité et influences caribéennes. Dans des morceaux comme Toxique Love, les mélodies contrastent avec des paroles incisives, tandis que L’Étage Souterraine met de l’avant des sonorités percussives qui évoquent la force et la résilience.
Les collaborateurs de Aura jouent un rôle essentiel dans la réalisation de cet album ambitieux. À la direction artistique, Imposs apporte son expertise et sa vision unique, particulièrement dans l’écriture des textes, où sa maîtrise du français rehausse la qualité des chansons et aide à bâtir l’univers lyrical de Frank, tandis que son proche collaborateur David Saysum a su dénicher les bonnes productions pour atteindre les ambitions de Shah Frank.
La production musicale repose sur une équipe diversifiée et talentueuse, incluant High Klassified, Ruffsound, Mike Clay ou encore Claude Bégin.
«Je me sens vraiment choyée d’avoir pu travailler avec des artistes que j’écoutais avant même de me lancer musique, et qu’ils aient embarqué. Comme Claude Bégin, qui était vraiment une surprise, mais je suis contente que ça ait fonctionné, explique la chanteuse. Puis Eman, même s’il habite à Québec, est descendu à Montréal juste pour être là pour la session d’enregistrement. Je n’aime pas utiliser le mot ‘chanceuse’, parce que ça enlèverait à tout le travail qu’Imposs et la team ont mis sur ce projet, mais je me sens vraiment reconnaissante.»
Ces productions variées enrichissent l’album de sonorités allant du RnB classique à des rythmes plus modernes et métissés. Avec des participations remarquées de Clay,Kola et Eman, Aura offre un portrait audacieux de ce à quoi un néo-R&B typiquement québécois pourrait ressembler.
Bien qu’il s’agisse de son premier projet francophone, Shah Frank réussit à conserver l’essence qui a fait sa marque en anglais. Sa voix, tour à tour délicate et puissante, se mêle aux productions soignées pour créer un album accessible sans tomber dans la facilité. Tout en s’inscrivant dans les codes du RnB américain, Shah Frank met de l’avant sa voix distincte et sincère et prouve qu’elle est prête à aller défricher le territoire du néo-R&B québécois.