Il s’en est passé du temps depuis ma première entrevue avec FouKi, en 2017. Le rap queb peinait encore à sortir de l’underground et à se trouver une identité claire. Et, de nulle part, un kid de Jeanne-Mance commence à faire du bruit avec un son unique, qui semble taillé sur mesure pour les rassemblements estivaux dans les parcs de Montréal.
Un peu moins d’une décennie plus tard, c’est un FouKi bien différent que je rencontre dans un studio à la veille de la sortie de Still Kankan, son sixième album en carrière. C’est aujourd’hui un nom connu des petits comme des anciens, il a réussi à faire entrer le mot «gayé» dans le lexicon local, et reste l’un des artistes les plus populaires et adulés de sa génération.
Pourtant, c’est le même Léo enjoué, curieux et déterminé qu’à ses débuts. Mais résolument plus affirmé.
C’est un peu ce qui explique l’évolution dont témoigne Still Kankan. Né d’une dynamique profondément collective, portée par des séjours en chalet avec des artistes comme Vince James, Pops & Poolboy, sans oublier son historique acolyte, QuietMike. «C'est fou, parce que quasiment tout le monde a un peu travaillé d'une façon ou d'une autre sur les chansons. Je pense ça se ressent dans la production aussi; c’est quand même rare d’avoir trois personnes sur chaque beat». Ce processus collaboratif a donné à l’album sa richesse sonore et son unité organique, malgré une variété impressionnante de sons, allant du UKG de Dimanche soir au trap d’Umami, sans oublier les classiques sons entre pop et reggae qui ont fait la renommée de FouKi et que l’on retrouve sur Lalala, pièce finale de l’album avec Modlee comme invitée.
C’est la chanson Allez, enregistrée avec Soran, qui a ouvert la voie. FouKi y a trouvé une version plus aboutie de son style habituel, un point de départ révélateur pour la suite. «Soran et moi, on se connaît depuis longtemps, mais on n’avait jamais encore travaillé ensemble, ça adonnait juste pas. Finalement, j’ai répondu à une de ses stories sur Instagram et on a commencé à faire des sessions la semaine suivante. Quand Allez était terminée, je trouvais que ça me ressemblait, mais en plus évolué. Ça m’a donné envie d’aller dans cette direction-là, du same old me, mais avec un coche de plus». Cette intuition initiale a guidé toute la direction du projet, et confère un ton à la fois plus réfléchi et plus fluide, même s’il se garde bien de parler de cette élusive «maturité».
Car au fil des années, FouKi a appris à naviguer entre la légèreté et la lucidité. Dans Still Kankan, cet équilibre est plus présent que jamais. «Je reste toujours plus dans la légèreté et l’évasion que dans la prise de conscience, mais il y a quand même quelques chansons qui sont clairement plus dans la prise de conscience, c’est pas juste du "gayé zay zay"…». Il cite notamment Pour l’amour, un morceau où il aborde des réalités sociales avec une sensibilité nouvelle. À ses yeux, cette évolution est inévitable. «Le temps filtre tout. Donc c’était conscient de me dire que sur l'album, je veux parler du temps, de la relation que j'ai avec le temps, qui change de la relation que j'ai avec l'argent, qui change aussi avec le temps.»
Avec le temps, FouKi affirme vouloir «maîtriser l’authenticité». Avoir de la créativité, c'est bien, mais il faut savoir la canaliser avec lucidité. Ce souci d’équilibre se manifeste sur cet album, comme si l'on rencontrait un FouKi 2.0.
Dans un rap québécois qui a beaucoup gagné en professionnalisme ces dernières années, Still Kankan illustre bien ce qu’on peut attendre d’un artiste arrivé à maturité, qui personnifie son époque et reste capable de s’amuser avec les codes tout en les raffinant.