Ceci est la traduction adaptée d’un article de Brittany Spanos, originalement publié par Rolling Stone le 31 octobre 2025. Nous republions l'article originalement intitulé Florence Welch: ‘Anxiety Is the Hum of My Life — Until I Step Onstage’ avec la permission de son autrice. Notez que certaines subtilités et nuances peuvent différer de la version originale.
Si vous parlez à Florence Welch un jour quelconque, il y a de fortes chances qu’elle se sente un peu anxieuse. «L’anxiété est le bourdonnement constant de ma vie», dit-elle. «Puis je monte sur scène, et ça disparaît.»
Heureusement, c’est là qu’elle se trouve en ce moment: vêtue d’une longue robe blanche, assise avec aisance devant un public de 150 personnes au magnifique Cherry Lane Theatre de New York, une salle historique du centre-ville connue comme le berceau du théâtre off-Broadway. Nous sommes une semaine avant la sortie de Everybody Scream, l’excellent sixième album qu’elle a réalisé avec son groupe, Florence + the Machine, et Welch participe ici à la toute première édition en direct de la Rolling Stone Interview, la série d’entretiens approfondis de longue date du magazine. (Cette entrevue est aussi la première version en balado vidéo du format, disponible sur la chaîne YouTube de Rolling Stone et sur les plateformes de baladodiffusion.)
Lors de l’entrevue comme pendant la prestation dépouillée et envoûtante qui l’accompagne, l’énergie dans la salle est aussi électrisante que celle du nouvel album, même lorsque le sujet abordé n’est pas des plus légers. Conçu avec des collaborateurs comme Aaron Dessner de The National, Mark Bowen d’Idles, Mitski et James Ford, Everybody Scream est une réflexion viscérale et mystique sur la vie et la perte, sans oublier une vitrine pour la voix remarquable de Welch, qui s’est imposée comme l’un des instruments les plus puissants de la musique populaire depuis les débuts du groupe en 2009. Les chansons ont été inspirées par son expérience en tournée pour soutenir Dance Fever en 2022, durant laquelle elle a subi une grossesse ectopique et la rupture d’une trompe de Fallope, nécessitant une chirurgie d’urgence qui lui a sauvé la vie.
Tout au long de la conversation, Welch allie franchise et humour sec en analysant la façon dont elle a évolué au fil des années et ce que cela a signifié pour sa musique. «Plus ma vie s’est apaisée, plus je pouvais être déchaînée dans mes performances, mes vidéoclips et mon art», résume-t-elle à mi-parcours de notre entretien. «J’ai découvert que la liberté face à la honte permet d’explorer beaucoup plus de choses dans son travail, et j’ai trouvé ça extraordinaire.»

L’histoire de cet album commence avec ta dernière tournée, celle de Dance Fever en 2022. Peux-tu me parler de ton état d’esprit au départ, et de la manière dont tu en es sortie transformée?
Je suppose que Dance Fever était en quelque sorte un disque de prophétie, et que celui-ci est un disque de catastrophe. Dance Fever parlait aussi de performance, et du fait que tout ce qui concernait la scène avait disparu. Il y a eu une période où les musicien·ne·s ne savaient pas si la musique live reviendrait un jour, et c’était un album qui se demandait si je voulais continuer à faire ça ou si je voulais fonder une famille. Et puis, pendant cette tournée, j’ai vécu une expérience de vie ou de mort qui m’a menée à créer ce disque.
Everybody Scream est né du désir d’aller plus loin dans la magie et le mysticisme. Du genre: «OK, les choses se réalisent pour vrai. Je dois vraiment comprendre ce qui se passe ici.» Ça a ouvert un portail vers un autre lieu. C’était un espace d’exploration profonde, qui a libéré toutes sortes de ramifications de moi-même à travers cette épreuve.
As-tu déjà eu un album ou une chanson qui annonçait ce qui allait venir ensuite?
Jamais de façon aussi littérale. J’ai écrit une chanson pour Dance Fever intitulée King, qui abordait la question de savoir si je voulais être mère. Il y avait une ligne qui disait: «Je ne savais pas que mon meurtrier viendrait de l’intérieur.» Ce qui a failli me tuer, c’était une complication liée à une fausse couche sur scène. Ce n’était jamais aussi explicite.
Qu’est-ce qui t’a poussée à t’intéresser davantage à la magie et au mysticisme?
Quand quelque chose se produit dans ton corps, tu te sens complètement impuissante. Je cherchais des formes de pouvoir et je me sentais très primitive. C’était très soudain, très violent, et ça m’a littéralement sauvée. Quand tu dois subir une chirurgie d’urgence, les lumières sont si vives; tout est tellement clinique. Après coup, j’ai ressenti le besoin de me rapprocher de la terre. J’avais besoin d’être entourée d’éléments naturels.
Partout où je regardais, en cherchant des récits sur la naissance, la vie et la mort, je tombais sur des histoires de sorcellerie. Impossible d’explorer ces thèmes sans croiser des contes populaires ou des histoires de magie, parce que c’est un domaine si mystérieux. Personne ne pouvait m’expliquer pourquoi c’était arrivé. On m’a simplement dit: «Pas de chance.» Quand personne ne peut te dire pourquoi, tu cherches à donner un sens à ce qui s’est passé. Tu veux comprendre, et retrouver une forme de contrôle.
Tu as vécu une perte de grossesse sur scène, devant des milliers de personnes. Comment as-tu géré cela en tant qu’artiste?
J’avais mal. Et que fait une femme dans ce cas-là? J’ai simplement pris de l’ibuprofène et je suis allée travailler. J’étais dans un espace que je connaissais, un lieu de puissance et de contrôle du corps, tout en vivant une perte. Je ne savais pas que c’était une perte dangereuse, mais je me disais: «Je vais y arriver, et si je réussis à aller au bout de ce spectacle, au moins je n’aurai pas tout perdu.» Quand je suis montée sur scène, toute la douleur s’est envolée, et j’étais libre. C’était étrangement un spectacle incroyable, parce que je ne savais pas que j’étais en train de mourir, d’une certaine manière. Je ne savais pas encore que je souffrais d’une hémorragie interne. Mais j’ai senti cette présence qui m’accompagne toujours sur scène prendre le dessus, et elle m’a portée du début à la fin. C’était comme de l’amour, ou quelque chose du genre. J’étais dans la boue et dans un ouragan, et c’était étrangement très beau. Est-ce que ça sonne tordu de dire ça?
As-tu commencé à travailler sur l’album peu après, ou t’a-t-il fallu du temps pour assimiler ce qui s’était passé?
J’avais déjà commencé à le faire. La première personne avec qui j’ai travaillé, c’était Mark Bowen du groupe Idles. Quand nous avions du temps libre entre les tournées, nous nous retrouvions pour faire des esquisses. One of the Greats avait déjà commencé à émerger, et je crois que nous avons ensuite écrit Everybody Scream. Mais oui, je suis passée directement de la tournée au studio. Après tout ce qui s’est produit, j’avais besoin de le traiter.
J’ai ensuite suivi une thérapie axée sur les traumatismes. Ma thérapeute était formidable. C’était évidemment une spécialiste des personnes ayant vécu ce genre d’événements. Elle m’a dit qu’il pouvait y avoir une envie de réparer les choses immédiatement, notamment en essayant de tomber enceinte de nouveau très vite. Elle m’a dit: «Le seul conseil que je peux te donner, c’est de ne pas réessayer avant de te sentir redevenue toi-même.» Le seul endroit où je me sens vraiment moi-même, c’est en écrivant des chansons. C’est comme ça que je traite ce qui m’arrive.
Je ne me souviens pas des six premiers mois de la création de ce disque, à vrai dire. Des chansons comme Witch Dance et You Can Have It All, les premières, très brutes, écrites juste après, je ne m’en souviens presque pas. Ce qui était merveilleux avec Bowen, c’est qu’il apporte beaucoup de dissonance et un côté punk, une brutalité dans ses sons. J’en avais besoin. C’était brutal. Ce qui m’est arrivé a été un événement dissonant dans ma vie. C’était donc incroyable que nous ayons déjà commencé à travailler ensemble. Il était la personne parfaite pour écrire ces chansons dans l’après-coup.
Il y a beaucoup d’humour dans cet album. Dans Music by Men, tu chantes: «Je me casse les os/Je décroche quatre étoiles sur cinq/En écoutant une chanson de The 1975/Je me disais: “Bon, autant donner une chance à la musique faite par des hommes.”» Quelle chanson de The 1975 écoutais-tu à ce moment-là?
(En chantant) «We’re fucking in a car/Shooting heroin/Saying controversial things...»

Love It If We Made It?
Oui! Je me disais: «Cette chanson est vraiment bonne.» Dans l’écriture, tout repose souvent sur les rimes. Il me fallait donc un groupe qui rime avec «five».
Quand je me suis cassé le pied sur scène, j’ai eu quatre étoiles sur cinq pour ce concert. Je me disais: «Que faut-il que je fasse de plus?» J’ai littéralement saigné sur scène. Les gens essuyaient le sang, et j’ai terminé le spectacle. Et, globalement, c’était: «Quatre sur cinq.» Bordel. Que faire maintenant?
Dans One of the Greats, tu chantes: «Je serai là-haut avec les hommes et les dix autres femmes et les cent plus grands albums de tous les temps/Ça doit être bien, d’être un homme et de pouvoir faire de la musique plate juste parce qu’on le peut.»
Beaucoup de ces lignes me faisaient simplement rire. C’était ce sentiment du genre: «Quand est-ce que ce sera assez bien?» Je donne tellement, et parfois je me demande si, en donnant autant, en n’ayant pas cette espèce de froideur masculine qui consiste à tout retenir, à être obscur, à faire en sorte qu’on se dise: “Mais qu’est-ce qu’il veut dire? C’est tellement cool, quelles sont les paroles?”... Je me disais: “Si je continue à tout donner, est-ce que ça veut dire qu’on ne me prend pas au sérieux?”
Mais parfois, quand j’écoute des trucs où il y a ce genre de retenue masculine, je me dis: «Ce n’est pas un peu plate, au fond? Que disent-ils vraiment?» Ce serait peut-être une vie plus facile, de pouvoir tout garder pour soi, d’être juste séduisant en t-shirt et que tout le monde dise: «Wow, c’est révolutionnaire.» J’en suis jalouse. Quand tu critiques quelqu’un, ça vient souvent de l’envie, honnêtement.
Est-ce cette critique de concert ou un autre moment qui t’a poussée à réfléchir aux limites de la perception des femmes dans l’industrie?
Il y a toutes ces listes, et on sent qu’ils ont un nombre précis de femmes à inclure. Ils se disent: «OK, on a coché cette case.»
Pour être honnête, je ne me suis jamais vraiment identifiée à mon genre, et je ne sais toujours pas ce que ça veut dire d’être une femme. Je ne sais pas ce que ça fait. Je n’y attribue rien de particulier... Donc, ça signifiait que je ne percevais pas vraiment de barrières à cause de ça. Ce n’est que plus tard que tu réalises que les gens ne te prenaient pas au sérieux parce que tu étais une jeune femme. Je croyais juste que c’était parce que j’étais énervante. Ce n’est que lorsque tu prends du recul et que tu vois le même traitement réservé à d’autres jeunes femmes que tu te dis: «Attends, ce n’était peut-être pas moi le problème.»
Et ça vient avec la sagesse, mais aussi avec la colère. Je crois que ce disque se débat beaucoup avec les sacrifices supplémentaires nécessaires pour se consacrer à cette vie et à la scène. J’en ai parlé avec Mitski, et elle m’a dit: «Oui, mais cette intimité que cela crée avec la performance, avec le travail, est extraordinaire.» Je le ressens aussi.
T’es-tu déjà sentie sous-évaluée comme artiste?
Ce n’est pas une question d’être sous-estimée. C’est juste que parfois, tu cherches la validation auprès des mauvaises personnes. Il y a tout un public qui aime et comprend ce que tu fais, et puis un seul type qui dit: «Ouais, j’aime pas trop.» C’est quelque chose qu’on finit par dépasser, et c’est agréable. Et puis la manière dont on m’apprécie, c’est la seule que je pourrais souhaiter. Je n’ai jamais voulu être plus célèbre que je ne le suis. C’est à peu près la limite de ce que je peux supporter.
Au final, avec tout le travail, j’ai eu la carrière que j’ai toujours voulue. Il y a eu un moment où on voulait sans doute me pousser vers le grand public. À l’époque de Lungs, j’aurais pu choisir une autre voie. Mais je n’ai pas le genre de cerveau capable de gérer ce niveau d’attention. J’ai toujours fait des choix qui m’éloignaient des projecteurs pour me ramener vers le travail, ou qui retiraient ma personnalité de l’équation pour recentrer sur la musique.
Et quand tu sors du rôle de rock star sur scène, que tu mets ton album de côté, à quoi ressemble ta vie?
C’est vraiment ennuyant. Voilà, c’est ça. Il faut être calme dans sa vie pour être sauvage dans son art. Je crois que c’est très vrai pour moi. Plus ma vie s’est apaisée, plus je pouvais être intense sur scène, dans mes clips et mes œuvres. Beaucoup de dégoût de moi-même et de honte, je tentais de les résoudre par l’alcool ou la drogue. Une fois sobre, quand ma vie est devenue plus tranquille, j’ai découvert que la liberté face à la honte permet d’explorer bien plus de choses dans son art. C’était incroyable.
Il y a beaucoup de marche, de lecture et de télévision. En tournée, tu te dis: «J’ai juste besoin de rentrer chez moi.» Et quand j’y suis, je me dis: «Il y a une bête en moi qui doit sortir. Je ne suis pas faite pour cette vie. Je suis trop grande pour cette maison.» Le reste de la célébrité, ça ne m’intéresse pas vraiment. Je trouve ça stressant.
Comme quoi, par exemple?
Il y a une ligne dans Sympathy Magic à propos des «vagues humiliations de la célébrité». C’est ça, la célébrité pour moi: une succession de petites humiliations. Le côté «people» ne m’a jamais attirée. Comme je suis timide et anxieuse, j’ai besoin de beaucoup de temps pour rêvasser, loin des projecteurs. Je n’aime pas vraiment attirer l’attention, sauf quand il s’agit de mon travail. J’aime mener une vie très privée et tranquille en dehors de la scène.
L’une des premières personnes que tu as appelées pour cet album, c’est James Ford, qui avait aussi travaillé sur ton succès Dog Days Are Over. Que gardes-tu du souvenir de cette chanson qui a changé ta vie?
J’ai encore le CD avec la première démo de Dog Days. Nous répétions dans un studio appelé Premises Rehearsal Studios, toujours là à East London. James avait son studio juste au-dessus, et je suis allée frapper à sa porte. Il raconte que je suis entrée et que j’ai commencé à taper sur la table en chantant. Le label avec lequel je travaillais ne comprenait pas du tout cette démo. Ils disaient: «Non. On veut un autre Kiss With a Fist. C’était amusant, accrocheur, avec des guitares.» Et James, lui, a tout de suite compris.
La première chose qu’il a faite, c’est d’accélérer le tempo. C’était quelques BPM plus lent. Quand j’ai eu besoin d’un simple principal pour ce nouvel album, la démo que j’avais de Everybody Scream était très sauvage et déroutante, et il l’a tout de suite comprise. Et encore une fois, la première chose qu’il a faite, c’est de l’accélérer. Je me suis dit: «OK, je te fais confiance. Ça a bien marché la dernière fois.»

As-tu eu des mentors au fil de ta carrière?
Nick Cave a été d’une grande gentillesse envers moi. Nick et Susie Cave ont été des amis merveilleux et bienveillants. Je lui ai envoyé certains de mes poèmes, et il m’a aidée à en éditer quelques-uns. Je lui écrivais des courriels stressés depuis la tournée, et il me répondait toujours avec bienveillance. En tant qu’artiste très physique lui-même, il comprenait ce que je m’imposais. C’est un être humain extraordinairement bon.
Tu as toujours été sélective dans tes collaborations, mais tu as quand même fait Florida!!! avec Taylor Swift. Comment cette chanson est-elle née?
Elle m’a écrit un message pour me dire: «J’aimerais t’avoir sur cette chanson.» Sa manière d’écrire ressemble à des nouvelles. Elle avait tout un récit autour de la chanson, une histoire à raconter, et ce lien avec le folklore de la Floride. J’ai voulu y apporter ma propre vision de la Floride, celle de Lauren Groff. L’un de mes recueils de nouvelles préférés s’intitule Florida, et Groff en est originaire. Il y a une histoire dans le recueil, Eyewall, sur une femme qui se barricade dans une salle de bain pendant un ouragan et reçoit la visite des fantômes de tous ses ex-petits amis. Elle est saoule, et elle tient un poulet. C’est une nouvelle incroyable.
Taylor était une collaboratrice extrêmement ouverte. Elle disait: «Oui. Ce que tu veux. Fais des chœurs partout. Je veux que ce soit aussi “Florence” que possible. Vas-y.» J’ai dit: «Eh bien, je veux aussi taper sur un tambour.» Et Taylor a répondu: «Oui, vas-y.» La regarder construire ces harmonies, c’était une expérience extraordinaire.
Dans One of the Greats, tu dis t’être sentie «brûlée à 36 ans». Est-ce encore le cas?
En fait, je crois que quand j’aurai 40 ans, je me sentirai merveilleusement bien. Vraiment. C’est comme si, à l’approche d’une décennie, tu te sentais de plus en plus mal. Alors je crois qu’à 40 ans, je me sentirai incroyablement jeune à nouveau. Il y avait une urgence désespérée à faire ce disque et à le sortir. Si je ne l’avais pas publié maintenant, je ne crois pas que je l’aurais jamais fait. Il est si lié à l’âge que j’ai et aux expériences que je vis.
Si j’avais pris plus de recul après ce qui s’est passé, j’aurais peut-être ressenti les choses différemment. Mais je suis contente d’avoir réussi à tout assembler, parce que c’est un sujet si silencieux et obscur, que tant de personnes traversent. J’étais très triste à l’idée que cet album puisse ne pas voir le jour. Je suis heureuse qu’on ait réussi à tout boucler.
















Kanye West rencontre un rabbin, s'excuse pour ses commentaires antisémites