Le festival BleuBleu se démarque par son emplacement idyllique au bord de la baie des Chaleurs, en Gaspésie, par sa programmation musicale riche et variée et par son ambiance décontractée des plus agréables. Malgré le temps frais et pluvieux, cette septième édition de l’évènement a donné lieu à d’excellentes performances, à de formidables révélations et à des reprises éclectiques allant de Nickelback à Jean Leloup en passant par La compagnie créole. En voici les meilleurs moments.
Jour 1: Ariane Roy, P’tit Belliveau et High Klassified
La septième édition de BleuBleu a débuté en force, malgré la pluie battante vendredi qui a obligé le déplacement des spectacles extérieurs à l’aréna Léopold-Leclerc. Qu’à cela ne tienne, la programmation double de la soirée a mis en vedette Ariane Roy et P’tit Belliveau, deux artistes qui ont le vent dans les voiles. La première a donné une performance électrisante et toute en voix des pièces tirées de ses deux albums, Dogue et medium plaisir. Elle a dédié l’enlevante Si je rampe aux personnes menstruées et Fille à porter à toutes les chiennes, clin d’œil au thème de son plus récent album. En plus d’être dotée d’un talent immense, la musicienne est une bête de scène à la dégaine de rockeuse d’une rare intensité. Ariane Roy a transformé le sol de l’aréna de Carleton-sur-Mer en véritable plancher de danse dès les premières notes de I.W.Y.B., un des nombreux temps forts de sa performance sans faille.
À sa suite, P’tit Belliveau et ses musiciens vêtus de chemises blanches et de kilts ont maintenu la barre haute en offrant une prestation survoltée marquée par leurs plus grands succès, dont les irrésistibles Les bateaux dans la baie, Demain et Ej m’en fus, mais aussi en jouant des reprises diablement efficaces de How You Remind Me de Nickelback et de Chop Suey de System of a Down. Livrant un heureux mélange de folk, de rock, de trad et de métal, P’tit Belliveau est probablement le seul artiste qui peut faire giguer et handbanger une foule dans la même chanson. Il a suscité l’hilarité générale en menaçant de finir son spectacle sur le champ et même de retirer sa musique de Spotify si le public ne chantait pas avec lui les paroles de Mon drapeau acadjonne vens d'Taiwan. «Fuck you Carleton-sur-Mer», a-t-il même osé, rebaptisant du même coup la ville Caca-sur-Pipi! Ne doutez pas de l’amour qu’éprouve le musicien à l’impeccable coupe Longueuil pour son public, il en a donné à profusion lors de cette performance énergique.
En fin de soirée, sous la fraîcheur du chapiteau de la Scène de la Plage du parc des Horizons, le producteur et compositeur lavallois High Klassified a fait monter la température d’un cran grâce à ses habiles mix aux grooves irrésistibles et envoutants. Kevin Vincent de son vrai nom y est allé de quelques titres de son plus récent album, Ravaru (qui signifie Laval en japonais) ainsi que d’airs connus. Après la très inconfortable, mais heureusement courte, performance du rappeur Kris the $pirit – trop éméché pour livrer une chanson complète sans l’interrompre pour réclamer des shooters avec insistance –, High Klass a eu la classe de raviver l’ambiance grâce à son énergie positive et, surtout, son immense talent, lui qui a collaboré avec de grosses pointures de la scène internationale, dont The Weeknd et Future.
Jour 2: Anaïs Constantin, Lia Kuri et Édith Butler
La deuxième journée de BleuBleu a débuté sous un soleil radieux à la microbrasserie Le Naufrageur, où s’est produite en solo la sympathique Anaïs Constantin. Seule à la guitare accompagnée d’une trame de soutien, elle a chanté sur l’achat de son air fryer, son enfance modeste remplie d’amour et de steamés, son périple à L’Isle-aux-Coudres et sa blonde du secondaire, qui était cent fois plus belle qu’Amélie Poulain. Contrastant admirablement avec son folk pop mélancolique, la bonhommie de ses interventions a rendu sa performance particulièrement efficace. Pour être plus en mode «festival», elle a même offert un medley de chansons d’émissions jeunesse, dont Les Intrépides et Rémi sans famille.
Avec sa série de spectacles extérieurs au bord de l’eau à la Cabane-à-Eudore, BleuBleu offre un cadre unique pour des performances intimes. Agrémenté du bruit des vagues et du chant des oiseaux, le spectacle de Lika Kuri a été particulièrement enchanteur. Sous le soleil doré de fin de journée, la musicienne, membre du groupe Afternoon Bike Ride, a livré une performance généreuse et sensible. Pour l’occasion, elle a adapté les chansons de son album Motherland, paru l’automne dernier, les interprétant dans une formule électroacoustique à l’aide de pédales pour créer des boucles sonores et des harmonies vocales. Sa voix céleste était y particulièrement bien mise en valeur. Visiblement ravie de jouer dans cet environnement, elle a partagé le contexte de création de ses chansons, fortement inspirées par la nature et par son expérience de proche aidante auprès de son père, à qui elle a rendu un bel hommage. Elle a aussi interprété une très jolie reprise de Pigeons, chanson de son amoureux, Les Louanges.
Le beau temps de samedi a permis au spectacle principal de se dérouler comme prévu sur la scène extérieure du quai de Carleton-sur-Mer, en parfaite synchronicité avec le coucher du soleil. Après une performance énergique du Néo-Écossais Marc à Paul à Jos, la légende acadienne Édith Butler a offert un concert dynamique et rassembleur. Généreuse en anecdotes toutes plus rocambolesques les unes que les autres – quelle vie! –, la musicienne de 83 ans a commencé son spectacle en soulignant la Journée nationale des peuples autochtones, elle qui a des racines mi'kmaq. Elle a aussi rendu un très bel hommage à ses grands amis disparus, l’écrivaine Antonine Maillet et l’auteur-compositeur-interprète Jean-Pierre Ferland. En plus de jouer les chansons de son plus récent album, Le tour du Grand Bois, réalisé par Lisa LeBlanc, dont les accrocheuses Dans l’bois et La 20, elle a livré certains de ses grands succès folkloriques, dont l’iconique Paquetville en rappel. Saluons son audace d’avoir osé dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas à un groupe de spectateurs posés près de la scène qui parlaient pendant sa performance, c’est-à-dire : «Farmez vos yeules!» Elle s’est plus tard adressée de nouveau, cette fois avec tendresse, à ce groupe de jeunes, leur donnant un précieux conseil : «N’arrêtez jamais de résister».
Jour 3: Viviane Audet, Magi Merlin et Gus Englehorn
La programmation de dimanche détonnait quelque peu. Aucune tête d’affiche au menu, mais plutôt une veillée de danse traditionnelle sur le quai, tombée à l’eau en raison du retour de la pluie. Peu importe, puisque la programmation en salle a donné lieu à d’excellents spectacles, à commencer par celui de Viviane Audet, déplacé de la Cabane-à-Eudore à l’église de Carleton-sur-Mer. Généreuse, la pianiste qui a grandi au village voisin de Maria, a pris le temps de raconter avec nostalgie et humour les souvenirs qui ont nourri les compositions évocatrices de son plus récent album, Le piano et le torrent, justement inspiré de sa région natale. Elle nous a ému aux larmes lors d’un segment consacré à son précédent album instrumental, Les filles montagnes, un hommage lumineux aux victimes et aux survivantes de la tragédie de Polytechnique qui lui a valu une ovation bien méritée. À ses côtés, la harpiste Éveline Grégoire-Rousseau, a ajouté une couche de profondeur à ses mélodies au piano. Viviane Audet a conclu le tout sur une note légère avec une reprise de Ça fait rire les oiseaux de la Compagnie créole, une des premières chansons qu’elle a apprises au piano.
Parmi les belles découvertes dont nous a gratifiés BleuBleu cette année, citons Magi Merlin, qui a livré une performance enlevante et chaleureuse à souhait au Naufrageur. Son mélange unique et inclassable de house, de drum and bass, de r&b, de jazz et de soul, porté par sa voix unique, a complètement séduit le public attentif et envouté. Accompagnée de deux musiciens, un saxophoniste et un bassiste (original, vous dites?), elle a livré un spectacle dansant et très accrocheur. En plus des titres de son EP A Weird Little Dog, paru en avril chez Bonsound, la musicienne a livré en primeur quelques nouvelles chansons qui figureront sur son prochain album.
On ne regrette absolument pas d’avoir patienté jusqu’à minuit pour découvrir sur scène le talent du singulier Gus Englehorn, qui a apporté une dose de rock salvatrice à la programmation du festival. Le natif de Homer en Alaska – un village similaire à Carleton-sur-Mer, a-t-il raconté – a un parcours fascinant. Ex-planchiste professionnel, il se consacre à la musique depuis la pandémie avec la complicité de sa femme et batteuse, Estée Preda, qui est aussi artiste visuelle. On aurait cru qu’ils étaient un groupe complet sur scène tellement qu’à eux deux seulement, ils ont livré une performance du tonnerre, le musicien allant jusqu’à briser une des cordes de sa guitare. Un sourire enfantin accroché au visage, Gus Englehorn a interprété avec une vitalité contagieuse sa musique dotée d’un univers narratif riche, peuplée d’araignées qui nous disent des mensonges dans l’oreille et d’autres créatures fantastiques. La cinquantaine de spectateurs couche-tard du dimanche lui ont rendu son énergie au centuple. Un véritable coup de cœur!
Jour 4: Marie-Ketely & Theo Abellard et Klô Pelgag
Le temps frais et grisâtre de lundi en Gaspésie, tout en contraste avec la chaleur accablante dans le reste du Québec, n’a pas empêché la tenue du spectacle extérieur du duo jazz expérimental Marie-Ketely & Theo Abellard à la Cabane-à-Eudore, lieu tout à fait propice à leurs envolées instrumentales mélodieuses et innovantes. Une main sur le clavier électronique et l’autre au piano, Theo Abellard a impressionné par sa polyvalence. Sa femme, Marie-Ketely, était elle aussi en parfaite maîtrise de ses instruments, la contrebasse et la basse électrique. Une performance hypnotisante et contemplative.
La cerise sur le sundae de cette fin de semaine de festivités a été offerte par la talentueuse Klô Pelgag, tête d’affiche des célébrations de la Saint-Jean-Baptiste de Carleton-sur-Mer. Son spectacle gratuit a rassemblé une foule disparate sur le quai, composée d’adolescents sur le party, de retraités curieux et d’à peu près tout ce qui se trouve entre les deux. Il est toujours ingrat pour un artiste de performer devant un public peu familier avec son œuvre, ce qui était le cas lundi, mais avec son humour singulier, son énergie débordante et, surtout, ses formidables chansons, Klô Pelgag a conquis la foule. Vêtue de bottes surdimensionnées, de larges épaulettes sportives et recouverte d’un immense drapeau du Québec, l’artiste a été fidèle à elle-même : elle a dansé, bondi, s’est élancée de droite à gauche et a même roulé sur scène, grâce à son banc de piano sur roulettes. Parmi les temps forts, son interprétation sentie de Lettre à une jeune poète, écrite pour sa fille, ainsi que celle de la sublime Le goût des mangues, accompagnée à la flûte, toutes deux tirées de son plus récent album Abracadabra. Pour la Saint-Jean, Klô Pelgag a livré une très jolie reprise seule au piano de Sang d’encre de Jean Leloup, qu’elle considère (avec raison) comme une des plus belles chansons québécoises. La tension a monté d’un cran pendant les survoltées Mélamine et Rémora, juste avant que l’interruption brusque du spectacle à son apogée en raison d’une forte averse. En guise de conclusion, la vedette de la couverture d'automne de Rolling Stone Québec a eu le parfait mot de la fin pour résumer cette formidable fin de semaine musicale, décrivant BleuBleu comme «un évènement magnifique pour un endroit magnifique».
Les frais d’hébergement de ce séjour ont été couverts par le festival BleuBleu, qui n’a eu aucun droit de regard sur ce texte.