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Chappell Roan: les hauts et les bas d’une supernova de la pop

La chanteuse a passé la dernière année à devenir la plus récente star de la pop. Rolling Stone se rend avec elle en coulisses pour parler de la célébrité, du succès et de toutes les pressions qui viennent avec la job.

Chappell Roan: les hauts et les bas d’une supernova de la pop
Photographies par Inez & Vinoodh

Ceci est une traduction d’un article de couverture par Britanny Spanos et originalement publié dans Rolling Stone le 10 septembre 2024. Nous republions l'article originalement intitulé Chappell Roan Is a Pop Supernova. Nothing About It Has Been Easy avec la permission de son autrice. Notez que certaines subtilités et nuances peuvent différer de la version originale.

«Veux-tu décorer mon grinder Chappell Roan se tient devant une armoire d’époque, broyeur à weed argenté à la main, à contempler quoi faire de sa journée. C’est un torride vendredi de juillet, il fait beau, et elle a une rare journée de vacance entre ses performances de festivals, qui deviennent toutes virales. Ses boucles rougeâtres qui tombent habituellement le long de son dos sont épinglées vers le haut, et son visage est nu, à l’exception d’un trait de crayon noir autour de ses yeux. Au lieu, par exemple, d’un costume de cowgirl rose, ou d’une perruque d’Hannah Montana ou d’un uniforme de lutte en latex, toutes des choses qu’elle a portées sur scène, elle a opté pour des shorts-cargo et un haut une-pièce de la même couleur. «Je porte du gris et du noir dans la vraie vie parce que je peux pas supporter ce que je porte sur scène», dit-elle. Les traces de son alter ego pop sont visibles partout dans la charmante petite maison d’une chambre qu’elle loue depuis peu dans une banlieue sans histoire de Los Angeles.


Ici, dans ce qui lui sert d’atelier, il y a un mannequin vis-à-vis l’armoire, qui sert de doublure à Chappell Roan. Aujourd'hui, elle est vêtue du kimono transparent de la vidéo pour Casual et de la perruque de la Statue de la Liberté de son récent concert au Governors Ball à New York. Roan n'est pas tout à fait installée ici. Il y a des lampes vintage et des boîtes à moitié déballées sur le sol, à côté de sacs de maquillage Anastasia Beverly Hills. Mais il y a aussi juste assez de touches pour que l'on se sente chez soi, comme les salières et poivrières en jadéite sur la table à manger, ou deux petites aquarelles aux couleurs pastel accrochées au mur. On se sent en sécurité et au chaud dans une maison qui est aussi nouvelle que la vie qu'elle mène soudain.

Depuis le printemps, Roan a vécu le genre de montée en popularité qui rend le mot ‘météorique’ désuet. En avril dernier, elle a achevé une tournée en tant que première partie de son amie Olivia Rodrigo. Cette série de concerts a donné du momentum à The Rise and Fall of a Midwest Princess, le mémorable premier album studio de Roan, paru en septembre 2023. Après, il y a eu sa performance à Coachella. Comme les autres performances du weekend, le set d’après-midi de Roan était diffusé en direct sur YouTube. Alors que des milliers de gens la découvraient en personne, des millions d’auditeurs la découvraient devant leurs écrans, partageant leurs réactions sur les médias sociaux en temps réel.

Tous ces nouveaux yeux ont vu Roan présenter un nouveau single, Good Luck, Babe!. La chanson, qui parle d’être en amour avec une autre fille qui n’est pas encore prête à accepter qu’elle aime les femmes, deviendra vite le plus grand succès de Roan à date. L’épopée d’une queergirl à la passion ardente, typique du style de Chappell Roan, accompagnée de synthés des années ‘80, et un grand refrain, audacieux et vraiment génial, chanté entièrement en voix de tête. Lorsqu’elle est revenue pour le deuxième weekend de Coachella, la foule était encore plus importante que la première fois. Roan est arrivée sur scène en costume de papillon rose bonbon, a regardé droit dans l’objectif de la caméra et a déclaré être «l’artiste préférée de ton artiste préférée» (une référence à «drag queen préférée de ta drag queen préférée», Sasha Colby), et a dit à la foule, «I’m gonna serve exactly what you are … cunt!». C’était fait; après cette performance qui donne la chair de poule et solidifie une carrière, à un niveau qu’on ne voit que rarement ces jours-ci.

Et sa vie n’a jamais été la même depuis.

«J'essaie encore de m’ajuster», dit Roan, assise à sa table de salle à manger, avec son pistolet à colle chaude près d’elle. Elle a tiré un chariot blanc entre nous; il est rempli d'assez de matériel de bricolage pour faire pâlir d'envie une prof de maternelle. Il y a du Norah Jones qui joue doucement sur son téléphone, alors que Roan étale des feuilles de gemmes et de strass qu'elle passera les trois prochaines heures à coller méticuleusement sur son grinder, entre deux gorgées d’un smoothie créé par Bella Hadid pour Erewhon, une chaîne californienne de supermarchés de luxe. «Je ne dors pas très bien parce que je fais de l’insomnie», dit-elle. «C'est tellement dur de relaxer. La transition est très difficile.»

Après Coachella, les moments iconiques n’ont cessé de se suivre. En juin, au Bal du Gouverneur, Roan est sortie d’une grosse pomme rouge, habillée en Statue de la Liberté, en fumant un très gros joint. Les photos ont, évidemment, monopolisé les réseaux sociaux. Elle a eu ce qui pourrait bien être le plus gros set de l’histoire de Lollapalooza, alors qu’elle n’était même pas en tête d’affiche. Des singles, incluant Pink Pony Club, initialement parue en 2020, ont commencé à grimper dans les palmarès. Avec son scintillant moment de power-pop avec un double solo de guitare et un refrain inoubliable, l’histoire d’une fille qui quitte son Tennessee natal pour aller faire la fête dans un bar gai de Santa Monica, est devenu un incontournable des dancefloors. Son morceau Casual, sorti en 2022, est devenu viral sur TikTok. Inéluctable, son hymne à réponse Hot to Go! joue dans tous les stades et arénas d’Amérique du Nord; même les bros connaissent la chorégraphie style-«YMCA».

Après le Bal du Gouverneur, Roan a remarqué qu’elle «gagnait environ 100 000 nouveaux abonnés par jour. Au début, j’étais en déni sérieux», se rappelle-t-elle. «Ils me montraient littéralement les statistiques et tout ce que j’arrivais à dire, c’était ‘Non, non, non. Ça se peut pas.’ Je n’arrivais pas à me dire, ‘J’ai du succès.’» Début août, alors qu’elle foulait la scène d’Osheaga pour une performance légendaire, The Rise and Fall of a Midwest Princess a pris la première place des ventes de disques, au Royaume-Uni.

Cette année, alors que la musique pop entrait dans une phase où l’auditoire semblait particulièrement enclin à danser, faire la fête et s’amuser, Roan les attendait déjà. Depuis des années, elle avait créé d’énormes hymnes tout en façonnant son propre personnage de drag. Elle a toujours eu ce côté plus grand que nature, mais brut, vulnérable et tangible, une Princesse du Midwest, «la popstar du Renaissance», comme elle le dit si bien.

«Je me rappelle qu’elle est arrivée au studio un jour et elle a simplement dit ‘Je m’en branle de ce que les gens ont à dire, à partir de maintenant. Si j’aime ça, c’est bon’», raconte son amie Olivia Rodrigo. «Je sentais qu’elle le pensait vraiment. C’est ce qui est magique avec elle.»

Bien que Roan puisse sembler être un succès instantané pour certains, cela fait près d’une décennie qu’elle roule sa bosse, malgré toutes les embûches. Il y a quatre ans, elle a été lâchée par sa première maison de disques, et a dû se relever les manches. Après un parcours bref mais crucial en tant qu’artiste indépendante, Roan a appris à suivre son instinct. Elle s’est mise à écrire des chansons qui célèbrent la joie queer et a trouvé un auditoire massif au long du trajet. «Ce qui me frustre c’est que juste maintenant qu’on commence à me prendre au sérieux», dit Roan. «Genre, ça fait des années que je fais mes shits et c’est juste maintenant que vous commencez à vous y intéresser.»

Néanmoins, Roan n’aurait jamais pu anticiper un tel succès. La vie «normale» telle qu’elle l’a autrefois vécue n’existe plus. En tant qu’artiste, elle est simplement contente de voir les concerts devenir plus gros. Maintenant, toutefois, elle fait face à une pression grandissante d’être non seulement la performeuse hors-pair à laquelle ses fans s’attendent, mais aussi de déterminer si et comment elle souhaite continuer de grandir à un niveau aussi massif. «Une partie de moi espère que je n’aurais plus jamais de hit, comme ça les gens ne s’attendront plus à rien de ma part», dit-elle doucement.

Mais il y a une autre part de Roan, la fille que la carrière a failli tuer plus d’une fois, qui veut toujours se battre pour que ça fonctionne. Elle a survécu à pire. «C’est ma job de rêve», dit-elle. «Je ne sais pas si je vais revivre ça dans ma vie, ce qui fait un peu peur.»

Habit par Maximillian Raynor. Souliers par Bottega Veneta.

Dans le coeur des Ozarks, la chaîne de montagnes du Midwest connu pour ses paysages à couper le souffle et ses moeurs conservatrices, se trouve la ville de Willard, au Missouri. Sa population vient de dépasser le seuil des 6 500 habitants. En 1998, Kaleigh Rose Amstutz y voyait le jour. Avant qu’elle ne devienne Chappell Roan, son école secondaire était surtout connue pour deux de ses anciens étudiants qui ont participé aux Olympiques. Sa mère était vétérinaire et son père infirmier; ils avaient tout deux 23 ans et étaient encore aux études quand elle est née. L’aînée d’une fratrie de quatre enfants, Kayleigh était une enfant difficile, comme elle l’explique. Frustrée, déprimée, rebelle, émotive, manipulatrice, carrément vilaine. «Je me suis sentie si mal toute mon enfance», dit-elle. Elle répondait sans cesse à ses parents et était constamment dans le trouble. «Tout ce que mes parents pouvaient faire était de tenter de leur mieux de me gérer.»

Bien plus tard, elle a été diagnostiquée d’un trouble bipolaire de type II. Adolescente, elle avait au moins des exutoires qui lui permettaient de gérer son trouble encore non-diagnostiqué. Elle adorait le plein-air et le bricolage. C’était aussi une athlète, courant à un niveau inter-collégial, et s’est même presque méritée une bourse universitaire en cross-country. Kayleigh était à l’époque assez réservée. Elle faisait ses propres vêtements et ne trouvaient pas de communauté, même chez les weirdos. «J’étais juste un énergumène, mais j’étais très gênée et empruntée et modeste», se souvient-elle. «La pendule s’est mise à balancer tellement fort quand je me suis mise à écrire de la pop, parce que je me disais que si je faisais justice à mon enfant intérieur, je serais libre.»

À 13 ans, elle a chanté devant public pour la première fois, lors d’un talent show qu’elle a gagné deux années de suite. Puis, deux ans plus tard, elle a composé sa première chanson, à propos d’un garçon sur qui elle avait un kick. Ils étaient la version Midwest et religieuse d’un amour impossible: elle était chrétienne, alors que son crush était d’une famille de Mormons très pieuse qui voyait d’un mauvais oeil les relations hors-confession. Lorsqu’il s’apprêtait à partir en mission, elle était désemparée et a mis en musique ses émotions, une «balade plate» de cinq minutes.

Ça n’a pas fonctionné entre Kayleigh et son amoureux Mormon. «C’était un cave», admet-elle maintenant. «Il était tellement méchant avec moi». Il est parti en mission, mais elle a continué à écrire des chansons jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’elle était pas mal bonne à ça aussi.

Chappell Roan est née, pour ainsi dire, lors d’un camp d’été en 2014, dans une forêt du Nord-Ouest Pacfique. Quand elle était adolescente, Kayleigh s’est inscrite à un camp d’été pour enfants intéressés par la musique et le cinéma. Comme se souvient le directeur du camp, elle n’a pas eu besoin de beaucoup de mentorat. «Elle est arrivée avec un talent d’écriture de la trempe de Lennon et McCartney.»

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Cet été-là, elle a écrit Die Young, une chanson à la Lorde en plus triste, qu’elle met plus tard sur YouTube. «C’est la chanson la plus cucul du monde», dit-elle aujourd’hui âgée de 26 ans. Cucul ou pas, Die Young a retenu l’attention des bonnes personnes. En quelques mois, des maisons de disques se sont mises à l’envoyer en avion avec ses parents à gauche et à droite, pour prendre des meetings et faire des spectacles-vitrines. Elle finit par signer chez Atlantic, à l’âge de 17 ans, et en 2016 décide d’emprunter le nom de scène de Chappell Roan. Ce nom est un clin d’oeil à son regretté grand-père, Dennis K. Chappell, dont la chanson préférée était The Strawberry Roan, une ballade de cowboy classique, écrite par Curley Fletcher.

Pendant deux ans, elle et sa famille faisaient l’aller-retour entre le Missouri et Los Angeles ou New York pour des sessions d’enregistrement et des rencontres. Roan a manqué toute sa dernière année du secondaire, incluant son bal de finissants et sa graduation. En 2017, alors qu’elle avait 19 ans, Roan a décidé de déménager seule à Los Angeles, après avoir fait paraître son premier EP, School Nights. Là-bas, elle s’est mise à vivre en tant que femme queer ouverte, et a plus récemment déclarée être lesbienne. «Je me sentais à l’aise d’être qui je suis ici», me disait-elle en 2022. «Ça a tout changé.»

Alors qu’elle approchait l’âge adulte, sa carrière a atteint un plateau. Elle a engagé un nouveau manager, Nick Bobetsky, et lui a dit qu’elle était «tannée de jouer et chanter des chansons déprimantes». Elle voulait faire de la musique de party. En 2018, Bobetsky l’a présentée à Daniel Nigro, ancien chanteur du groupe As Tall as Lions et auteur-compositeur pour des artistes comme Sky Ferreira, Carly Rae Jepsen et Kylie Minogue. «Elle était vraiment gênée au début», se rappelle Nigro de leur première journée en studio, en octobre 2018. Il lui a joué des «accords super éthérées» sur sa guitare, une idée qui lui trottait dans la tête depuis un moment. Elle aimait ça, il l’a donc mis en boucle. «Elle est juste restée assise là sans rien dire. Je voyais qu’elle écrivait dans son calepin pendant environ une heure. Je lui ai laissé faire ses affaires.»

Quand elle a relevé le nez de son calepin, elle s’est emparée du micro et a chanté ce qui deviendrait plus tard Love Me Anyway.

Au cours de l’année suivante, le duo a travaillé sur deux autres chansons qui ont aidé Roan à naviguer sa carrière vers une direction plus pop. Pink Pony Club, en particulier, était un virage radical. Nigro et Roan savaient tous deux que la chanson trouverait un public. Selon Roan, toutefois, Atlantic ont tenté de la décourager de sortir la chanson. «J’étais dévastée, dit-elle. Ça m’a fait douter de moi-même.»

Ils se sont battus pour faire paraître Pink Pony Club, qu’Atlantic a finalement sorti en avril 2020. Bien que les réactions initiales à cette nouvelle ère pop pour Roan, ils n’ont pas suffi à garder sa carrière à flot; cet été-là, alors que l’industrie au complet s’écroulait durant la pandémie, elle fut mise à pied par Atlantic.

La même semaine qu’elle se faisait drop par sa maison de disques, sa relation de plus quatre ans prenait fin. Plus tard en 2020, après deux décennies à ne pas comprendre pourquoi elle était constamment triste et en colère, elle a finalement reçu son diagnostic de bipolarité. À 22 ans, sa carrière et sa vie étaient chamboulées.

Roan est retournée au Missouri et a tenté de guérir. Elle et sa famille ont fait appel à un thérapeute. «Ça nous a sauvé, dit-elle. J’étais genre, ‘Je ne peux pas passer ma vie à détester mes parents parce qu’ils ne savaient pas comment s’occuper d’un enfant qui était très, très malade.’ J’étais tout simplement misérable.»

Elle a passé l’année à rapiécer sa vie. Elle a pris un emploi dans un fast-food, avant de retourner à LA, où elle a eu des contrats en tant que nounou et assistante de production. À l’été 2021, elle et Nigro ont repris contact et se sont mis à bosser sur ses premières chansons en tant qu’artiste indépendante.

À ce moment-là, Roan s’est mise à mettre plus d’efforts dans sa présentation, en canalisant des éléments de la communauté drag qu’elle adore, et en engageant une personne du même acabit en tant que D.A, Ramisha Sattar. Après avoir sorti Naked in Manhattan et My Kink is Karma, un auditoire dévoué s’est mis à se solidifier. Pink Pony Club a accumulé des millions d’écoutes de manière organique et elle devenait virale pour plus que simplement sa musique. Ses blagues et ses mèmes sur l’industrie et le dating qu’elle publiait sur TikTok recevaient de l’attention et des rires. «Je gagnais des followers quand je faisais vraiment la folle sur TikTok.»

Pendant cette période, Roan postait et faisait la promotion de sa musique tout en traversant une période d'hypomanie, une caractéristique commune de la maladie bipolaire de type II, qui se traduit par une humeur élevée et une hyperactivité. «Je ne dormais pas», dit-elle. «Je prenais les mauvais médicaments. J'avais de l'énergie à la pelle et je délirais, puis j'ai réalisé que cette application était alimentée par une maladie mentale. Straight up

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En 2022, Roan a entamé une thérapie ambulatoire. Elle avait déjà été suicidaire à d'autres moments; à cette époque, elle avait pour la première fois planifié la manière dont elle allait passer à l'acte. Heureusement, elle avait l'esprit suffisamment clair pour se rendre compte qu'elle avait touché le fond. En mai de la même année, elle a fait la première partie d’Olivia Rodrigo, avec qui elle s'était liée d'amitié par l'intermédiaire de Nigro, jouant devant 9 000 personnes à San Francisco, dans le cadre de la tournée Sour, de Rodrigo. Après le spectacle, elle est retournée immédiatement en traitement.

«J’ai réalisé que je ne pouvais pas vivre comme ça. Je ne pouvais pas continuer à être si déprimée ou de me sentir tellement perdue que j’envisageais de me suicider. J’ai simplement remis ma vie en ordre», dit-elle. Elle est reconnaissante d’avoir cherché de l’aide bien avant de connaître la célébrité immense et soudaine qu’elle vit aujourd’hui. «Je n’aurais jamais pu gérer tout ça il y a encore un an. Ç’aurait été trop.»

Lorsque les maisons de disques se sont pointées à la fin de 2022, Roan avait non seulement terminé son premier album, mais elle avait aussi déjà planifié et vendu toutes les places d’une tournée en tête d’affiche. Elle a pris plusieurs mois pour évaluer ses nouveaux prétendants. «Je les ai fait languir», dit-elle. «Je leur ai fait vivre l’enfer. J’étais là à dire: "Présentez-moi un pitch sur la façon dont vous allez me commercialiser. Montrez-moi ce que vous feriez avec ma carrière. Où est-ce que vous me voyez dans cinq ans? Si vous n’êtes même pas capables de le faire dans une situation hypothétique, vous ne savez pas comment faire. Je ne signerai certainement pas avec vous."»

Finalement, Roan a signé avec Island, via le nouveau label de Nigro, Amusement Records. Ce deuxième contrat avec un major lui a offert la liberté artistique dont elle rêvait, ainsi que les ressources et l’argent qu’une grande maison de disques peut fournir. Elle est passée de coller des bonbons sur des t-shirts à porter une robe de cygne sur The Tonight Show et des tenues de haute couture sur scène.

Roan se souvient qu’Atlantic l’avait avertie que poursuivre trop de styles ou s’éloigner de la marque qu’elle créait à l’adolescence ne fonctionnerait jamais. Aujourd’hui, toute sa carrière repose sur ces extrêmes et cette excentricité. (Par l’entremise d’un porte-parole, Atlantic a refusé de commenter pour cet article.) Puis, quatre ans après sa sortie, Pink Pony Club a atteint le Top 30 aux États-Unis. «Ça fait tellement de bien de leur prouver qu’ils avaient tort, parce qu’ils étaient dans le champ solide», dit-elle. «Ils avaient vraiment, vraiment, vraiment tort. De savoir que mon instinct était le bon, c’est la meilleure sensation du monde. La revanche intentionnelle ne fait pas du bien, mais la revanche par accident, c’est vraiment nice

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Roan réalise qu’elle a oublié de répondre à Orville Peck. Alors qu’on parle du fait qu’elle invite des drag queens locales à ouvrir ses spectacles, une idée qui lui a été inspirée par le chanteur country. «Je laisse Orville Peck sur read parce que je n’arrive pas à me ressaisir», dit-elle, visiblement un peu exaspérée par l’idée. Puis, elle se souvient qu’elle doit aussi un texto à Billie Eilish.

C’est l’état actuel de sa vie. Il y a plus de 200 messages non lus sur son téléphone, une accumulation inhabituelle pour quelqu’un qui était normalement plus réactive. «Ce n’est pas moi», dit-elle. «Rien dans ma vie n’est comme moi en ce moment. J’ai l’impression de tellement me décevoir parce que je ne suis plus celle que j’étais.»

Plus sa notoriété grandit, moins elle se sent connectée à celle qu’elle était auparavant. «Mon cerveau est tellement en chaos, et je ne me sens tout simplement pas comme moi-même», dit-elle, un sentiment qu’elle répète souvent. «J’ai rencontré une fille que j’aime vraiment, mais je ne peux pas m’engager avec elle parce que j’ai l’impression que personne ne me comprend. Je ne veux pas sortir avec une autre artiste, parce qu’elles sont toutes folles. Je suis tellement évitante, je me dis juste: "Elle ne me comprendra jamais. Elle ne comprendra jamais ça."»

Le nouvel amour de Roan est «complètement en dehors de l’industrie» et a fait preuve de patience et de compréhension, face au chaos ambiant. «Elle est tellement géniale et tellement bien dans sa peau, et elle m’a dit "Pas de pression, on peut juste être amies si tu veux"», raconte Roan. «Je cours dans tous les sens comme une poule sans tête. Je suis là à me dire: "Quoi? Je ne peux pas me marier!" J’ai l’impression que je délire, en ce moment.»

En juin, en plein milieu d’un concert à guichet fermé à Raleigh, en Caroline du Nord, Roan a craqué. En pleurs, elle a dit au public qu’elle se sentait «un peu off aujourd’hui» à cause de la rapidité à laquelle sa carrière avançait. «Je me suis tellement forcée à faire ce truc de ‘fille de théâtre’, genre "Continue! Pousse le personnage plus loin!"», explique-t-elle. «J’avais peur de décevoir les gens après qu’ils aient vu ces vidéos de moi en train de vraiment serve. Ce jour-là, je le sentais pas, et j’ai dû être honnête.»

Roan a dû repenser sa façon d’interagir avec ses fans. Elle refuse de répondre au nom de «Kayleigh» et dit non à la plupart des demandes de photos. Un fan lui a demandé une photo alors qu’elle se disputait avec sa copine et qu’elle était visiblement en détresse.

«Ils doivent me voir comme une fille ordinaire dans la rue», dit-elle, un sentiment qu’elle répétera dans une série de TikToks publiés en août à propos des comportements inappropriés de certains fans.

«On ne peut pas crier sur une personne random dans la rue qu’on ne connaît pas. C’est considéré comme du harcèlement.»

De nulle part, elle lâche qu’elle a un harceleur, quelqu'un qu’elle avait rencontré dans le Missouri. Cette personne s’est rendue jusqu’au domicile de ses parents et même à la chambre d’hôtel de Roan à New York. «Maintenant, je dois avoir de la sécurité», admet-elle. «C’est tellement cave.»

D’autres incidents troublants se sont produits. En juillet, alors qu’elle s’envolait vers Seattle, des fans ont obtenu ses informations de vol et l’ont accueillie à l’aéroport. Un homme s’est fâché parce qu’elle ne voulait pas signer un autographe, jusqu’à ce que la police de l’aéroport intervienne. Le même homme était présent avec un groupe de paparazzis, à son retour à LAX. «Je suis rentrée chez moi et je me suis effondrée», dit-elle. «J’ai du mal à pleurer à cause de mes médicaments, mais j’ai sangloté et crié.»

En août, alors qu’elle célébrait l’anniversaire d’une amie dans un bar, un fan l’a agrippée et embrassée. Plus tard dans la soirée, elle a appris que quelqu’un avait appelé son père après que son numéro ait fuité en ligne. C’était la goutte de trop pour elle, et cela a conduit à la publication de TikToks ainsi qu’à une déclaration similaire sur Instagram.

Des artistes l’ont contactée pour prendre de ses nouvelles. Charli XCX a été l’une des premières à le faire, même durant son très occupé «Brat summer». Eilish garde un œil sur elle (même si Roan oublie de lui répondre). Hayley Williams lui a envoyé un message pour lui offrir une oreille attentive («Hayley Williams est la femme la plus forte que je connaisse», dit Roan). Katy Perry lui a conseillé de ne jamais lire les commentaires. Lorde lui a donné une liste de choses à faire dans les aéroports pour passer inaperçue. Le groupe Muna l’a invitée à dîner. Miley Cyrus l’a invitée à une fête. Lady Gaga lui a donné son numéro, mais Roan a trop peur de l’appeler ou de lui envoyer un message. Roan est allée se promener et prendre un café avec Lucy Dacus et Julien Baker. Leur camarade de Boygenius, Phoebe Bridgers, est passée chez Roan juste pour chiller, partageant son expérience des comportements abusifs des fans.

Sabrina Carpenter, qui a aussi connu une année incroyable, a proposé qu’elles se retrouvent pour discuter de leurs étés. «On traverse toutes les deux quelque chose de tellement dur... Elle a l’impression que tout va trop vite, et elle a de la misère», dit Roan. «C’était juste cool de savoir que quelqu’un d’autre ressent ça.» En coulisses du Vic Theatre, à Chicago, Roan me montre un long email de Mitski qu’elle a reçu ce matin-là. «Je voulais humblement te souhaiter la bienvenue dans le club le plus merdique du monde, le club où des étrangers pensent que tu leur appartiens et harcèlent les membres de ta famille», lit-elle.

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Roan s’interrompt alors qu’elle énumère les noms de ses contacts célèbres, consciente de la façon dont cela peut être perçu. «Je ne cherche pas à me vanter», dit-elle. «Je veux juste dire qu’il y a des filles qui sont de bonnes personnes et qui soutiennent d’autres filles. Si je les nomme, c’est parce que les gens doivent savoir que ces personnes-là sont bienveillantes.»

Elle a cependant noté une exception notable: «Peu de garçons m’ont dit: "Si tu veux parler, dis-moi"», fait-elle remarquer. Il y en a eu quelques-uns : Peck, Troye Sivan (un des premiers fans de Roan), Noah Kahan et Elton John. «C’est dingue d’avoir des artistes que j’admire depuis des années, parfois toute ma vie, qui me soutiennent.»

Elton John est fan de Roan depuis le début de 2023, après avoir joué Pink Pony Club sur son émission de radio, Rocket Hour. Cet été, il a invité Roan et Nigro chez lui pour manger de la pizza et il l’appelle régulièrement, souvent d’un numéro iCloud inconnu, que Roan n’avait pas reconnu au début. Il a essayé de la joindre 11 fois en cinq jours. «Je pensais qu’un fan avait trouvé mon iCloud», dit-elle en riant. «J’étais furieuse et prête à donner mon téléphone à une amie pour lui faire une blague. J’ai fini par répondre un jour, et c’était Elton fucking John. Je lui disais que j’avais du mal, et il m’a dit: "Si tu as besoin de prendre une pause, fais-le."»

«Je suis très protecteur, avec elle», dit Elton. «Elle est gentille, innocente et merveilleuse. Elle n’est pas Chappell Roan en dehors de la scène, un peu comme moi. C’est quelqu’un que j’ai l’impression de connaître depuis longtemps.»

Roan n’aurait probablement pas remarqué le manque de soutien masculin si elle n’était pas de plus en plus consciente des doubles standards de l’industrie. Le terme «produit de l’industrie» circule sur les réseaux sociaux, une expression sans véritable sens souvent dirigée contre les femmes. «Ce n’est pas parce que tu ne connais pas quelqu’un que c’est un produit de l’industrie», dit-elle. «As-tu pensé au fait que tu es peut-être juste déconnecté?»

Le double standard est devenu plus évident après les critiques qu’elle a reçues pour ses TikToks publiés en août. Les vidéos ont lancé une discussion plus large sur la célébrité, l’appropriation et ce qui «vient avec la job». Mais les critiques ont souvent ignoré les préoccupations de sécurité qui peuvent être bouleversantes pour une jeune femme qui est passée de l’anonymat relatif à la célébrité stratosphérique, en quelques mois seulement.

Roan a envisagé de couper ses cheveux et de les teindre en brun pour pouvoir aller au cinéma, dans les bars ou au supermarché sans être reconnue. La réalité invisible au public est que ces célébrités que les gens jugent plus «généreuses» avec leurs fans dépensent des milliers, voire des millions, en sécurité pour pouvoir sortir.

«Je ne veux pas être agoraphobe. C’est [le cas] de la plupart de mes pairs», dit-elle. «Tous les artistes sont sur la même longueur d’onde. Tout le monde est mal à l’aise avec les fans. Certains sont juste plus patients. Moi, je ne le suis pas.»

Pour les célébrations du 4 juillet, Roan est retournée au Missouri. Ses parents et ses trois frères et sœurs y sont toujours, fiers et enthousiastes de voir ce que leur fille aînée est devenue. Cependant, les Ozarks, conservateurs et craignant Dieu, peuvent être un terrain miné. Le jour du 4 juillet, elle a surtout mis de côté ses opinions pour s’asseoir près du lac, regarder les feux d’artifice et éviter les «demandes de photos gênantes» de la part d’amis de la famille.

Roan a beaucoup d’empathie pour ses proches conservateurs, une compréhension que les gens sur la côte Ouest ne partagent pas toujours. «J’ai de la famille très républicaine qui m’aime et que j’aime. C’est difficile pour les gens qui ont grandi sur la côte de comprendre pourquoi je peux… comprendre. Et je comprends que tout ce qui était en moi provenait de la peur, parce que je ne savais tout simplement pas.»

Elle a eu peur de sa propre sexualité pendant longtemps. «J’avais peur des personnes ouvertement gaies parce qu’on m’avait appris que c’était mal», dit-elle. «J’ai réalisé que les gens détestent les personnes gaies flamboyantes parce qu’elles incarnent la féminité, et les gens détestent les femmes. Ce genre de choses te fait dire: "Mon Dieu, c’est tellement absurde."»

Bien que ses parents l’aient élevée dans la foi chrétienne, ils ont toujours soutenu la carrière de leur fille et son coming out. «Ça m’a pris du temps pour tout défaire, et il y a encore des choses que je ne comprends pas, c’est probablement pourquoi je me sens parfois mal à l’aise d’être lesbienne», dit-elle. «Je ne comprends pas pourquoi c’est un tel enjeu pour moi. Ça ne devrait pas l’être, mais il y a quelque chose qui ne va pas et je dois juste l’accepter.»

Roan a dû se reprogrammer. En elle étaient enracinés une honte profonde de sa propre sexualité et d’elle-même. Elle a pris certaines choses avec légèreté; elle porte toujours la bague de pureté en opale que sa famille et elle ont bénie lorsqu’elle était plus jeune. «Elle est trop jolie pour ne pas la porter», dit-elle, la montrant comme si elle venait de se fiancer.

Plus tôt cette année, elle a confirmé qu’elle est lesbienne devant ses fans lors d’un concert en Ohio. Elle n’a jamais apprécié ses relations avec les hommes, se convaincant que c’était elle le problème. «Enfin, je me suis dit: "Oh, je comprends pourquoi. C’est parce que je suis gaie et que c’est pas moi le problème" J’étais juste pas censée coucher avec des hommes, et maintenant l’idée d’embrasser un gars me dégoûte, parce que ça sera pas autant le fun qu’avec une fille.»

Propulsée au sommet cet été, elle apprend à exister en tant que personne queer sans avoir à en parler tout le temps. «Tu n’as pas nécessairement besoin d’être ouvertement visible», dit-elle. «Tu peux célébrer discrètement si tu veux. C’est genre, j’adore être gaie. J’ai juste pas envie d’en parler chaque seconde de chaque jour.» Elle fait maintenant partie d'un groupe d'artistes lesbiennes, queer et non-binaires qui dominent la pop : Billie Eilish, Reneé Rapp, Victoria Monét, Muna et boygenius, entre autres. «C’est tellement cool que les gens aient commencé à prendre les artistes queer au sérieux au-delà de leur identité queer», affirme-t-elle.

Lors de son passage au Gov Ball, Roan a révélé au public qu'elle avait refusé une invitation à la célébration de la Fierté Gaie à la Maison Blanche. Avant de chanter My Kink Is Karma, elle a dédié la chanson à l'administration Biden, protestant contre son implication dans la destruction de Gaza et la mort de civils palestiniens. «Nous voulons liberté, justice et égalité pour tous. Quand vous ferez ça, je viendrai, » a-t-elle déclaré.

Chez elle, elle me révèle qu’elle avait planifié «bien pire». Elle allait initialement accepté, se pointer, puis refuser de performer. Au lieu, elle allait protester en lisant de la poésie. «J’avais sélectionné des poèmes de femmes Palestiniennes», dit-elle. «J’essayais de le faire de manière aussi posée que possible, mais tout ce que je voulais faire c’était hurler. Je devais trouver quelque chose de gracieux et concis mais poignant, pas en faire une situation qui tourne autour de moi et de comment je me sens. Je ne sais jamais si j’aurai l’occasion d’être en ligne de vue du Président dans ma vie. C’était mon occasion.» Elle en a discuté avec sa relationniste de presse, qui était empathique mais lui a fait remarquer que «si tu fuck avec le Président et le gouvernement, ta sécurité et celle de ta famille ne sera plus jamais la même.»

Roan a donc choisi de refuser, bien que certains aient mal compris ce qu’elle croyait être un message très clair. «J’ai vu des TikToks où les gens demandaient, ‘Alors elle est pro-Trump?’». Elle fait la grimace.

«C’est pas une situation noir et blanc, où tu en détestes un et tu adores l’autre. Peu importe la manière dont tu le dis, les gens vont se fâcher pour des raisons stupides. Je ne vais pas aller à la Maison Blanche parce que je vais pas aller faire le clown pour Pride. Dieu merci, je n’y suis pas allé, parce qu’ils ont fait des commentaires très forts à propos des enfants trans, il y a quelques semaines», dit-elle en référence à l’administration Biden, qui s’était opposé aux interventions chirurgicales d’affirmation de genre sur les mineurs, en juin dernier. (L’administration s’est plus tard récusée.)

Ma visite chez Roan se tient le jour après une conférence de presse embarrassante pour Joe Biden, qui était encore à l’époque le candidat présidentiel pour le Parti Démocrate. Avec Roan, on discute de la performance horrible de Biden lors du récent débat contre Trump. À l’époque, le point de vue de Roan ressemblait à celui de plusieurs jeunes personnes qui votent. Surtout en lumière des différentes guerres, des drag bans, d’un accès diminué aux soins de santé pour les personnes trans et les gens qui souhaitent avorter. «En ce moment, je suis en mode ‘fuck le gouvernement, et fuck tout ce qui se passe dans le monde en ce moment’», dit-elle les deux majeurs en l’air. «Je n’ai pas de côté, parce que je déteste les deux côtés, et j’ai honte de ce qu’il nous arrive.»

Plus tard en juillet, bien sûr, Biden a abandonné la course, laissant place à Kamala Harris en tant que candidate. Même après qu’elle ait refusé l’invitation à la Maison Blanche, elle s’est retrouvée dans la campagne: le TikTok officiel du QG de Kamala Harris a utilisé Femininomenon dans une vidéo. Les casquettes en camouflage «Harris-Walz» ressemblaient étrangement à celles de Roan, qui disent «Midwest Princess», jusqu’au détail de la typo orange utilisée. Elle a même republié une comparaison côte-à-côte des deux chapeaux sur X, avec la caption «c’est bien vrai». Lors de la Convention nationale des Démocrates, Good Luck, Babe! a été utilisé comme chanson d’accueil pour la délégation du Missouri.

«En ce moment, c’est plus important que jamais de voter, et je ferai tout en mon pouvoir pour promouvoir les droits civiques, surtout ceux de la communauté LGBTQ+», me dit-elle en août. «Mon éthique et mes valeurs seront toujours alignées avec ça, et ça ne change pas avec un candidat différent. Je me sens si chanceuse d’être en vie lors d’un moment historique, où une femme de couleur est en course pour la présidence.»

Par le temps que Roan prenne d’assaut la scène du Parc Grant de Chicago, Lollapalooza était devenu Chappellpalooza. Elle était partout sans même essayer.

Le festival a plus tard rapporté que près de 80 000 festivaliers se sont entassés pour voir Roan et son groupe habillés en lutteurs des années ‘80, entourés de bodybuilders. Si on se fie à la fois à tous les kiosques illégaux de revente de fausse marchandise et la captation des drônes qui survolaient la foule, Roan était devenue le nouveau visage de facto du chapeau de cowboy rose, comme l’ont été avant elle Barbie et Harry Styles.

Le jour avant de devenir la tête d’affiche officieuse de Lolla, elle se produit dans un cadre bien plus intime, au Vic Theatre, d’une capacité de 1 400 personnes. Le thème de la soirée est «Chappell Roan Universe», une soirée spéciale où les fans sont invités à reproduire l’un des looks de la chanteuse. À 16h, la file s’étend déjà d’un coin de rue à l’autre, surtout composé de filles vêtues de cornes de diables, de chapeaux de cowboy rose, et même une Statue de la Liberté. Toutes attendent dans une chaleur accablante, écoutant attentivement le soundcheck. Roan pratique le concert complet avec son groupe, en shorts cargo et avec un chandail noir qui dit ‘BDSM’.

Après le soundcheck, elle court vers sa loge, où les pièces de son costume de Marie Antoinette l’attendent, incluant la perruque bouffante qu’elle perdra lors de Femininomenon. «Je vais faire mes ongles pendant qu’on discute», dit-elle, en appliquant de faux ongles rouges. On parle de son weekend, où elle sera sur la route pour trois concerts de suite, incluant Osheaga à Montréal. Cela coule dans son horaire pour le reste de l’année: une tournée européenne et plus de dates de festival aux États-Unis.

Elle est suivie par une thérapeute, qu’elle rencontre deux fois par semaine et qui l’aide à traverser l’année jusqu’à décembre. «Je crois que je vais avoir de novembre à la mi-mai pour écrire», dit Chappell Roan. «Comment est-ce que je vais pouvoir écrire un album en étant aussi crinquée? Il faut que je m’ennuie et que je n’ai rien dans la tête, pour pouvoir sortir quelque chose de bon.»

Chapeau par Maximillian Raynor. Top par Collina Strada. Accessoiees: Nino Sepo via Tata PR

À date, Nigro et elle ont assemblé cinq ou six chansons qu’ils jugent assez bonnes. «On a une chanson country, une autre plus dansante. Il y en a une qui est vraiment ‘80s, une acoustique, et une autre avec un live band qui fait vraiment années ‘70. C’est vraiment weird», dit-elle. Après, il y a The Subway, une chanson qu’elle a joué en concert tout l’été. Elle ne pense simplement pas que ce sera le prochain single. «J’aime beaucoup la jouer», dit-elle, haussant les épaules. J’en ai deux autres que j’aime jouer en concert aussi, mais je ne sais pas ce qui s’en vient. Quand je sais pas , c’est souvent parce que j’ai pas encore pris le temps de réaliser. Car d’habitude, je le sais. J’ai toujours une réponse, et je ne pense pas que ce soit The Subway

Un mot qu’elle déteste, «flop», lui trotte dans le cerveau. Elle s’est mise à enregistrer de la nouvelle musique sans trop s’inquiéter. Mais maintenant qu’elle ressent la pression d’offrir une suite à Good Luck, Babe! avec quelque chose d’aussi gros. «Le prochain single devra être plus brut, mais je ne sais pas si ça signifie une production moins polie ou juste des paroles qui ont plus de mordant», explique Roan. Récemment, elle est obsédée par Joan Jett. «Peu importe ce que j’écoute, que ce soit Joan Jett ou Lady Gaga ou Heart, je veux me sentir comme elles. Je suis si inspirée par ce sentiment-là et je veux apprendre à le transposer en musique.»

Une fois ses ongles terminés et latte déca au lait d’avoine en main, Roan prend son téléphone pour me montrer ses statistiques les plus à jour. La seule personne ayant cumulé plus de streams qu’elle cette journée-là est Kendrick Lamar, «ce qui est absolument fou», dit-elle. «Mon dieu», ne cesse-t-elle de répéter en regardant les statistiques de ses chansons une après l’autre: Good Luck, Babe! cumule 409 millions d’écoutes, Red Wine Supernova est rendue à 173 millions, et Hot to Go! frôle les 168. «Oh my god…»

Roan suit les conseils d’Elton, et se met à dire ‘non’ à certaines choses. Elle a pris la décision de ne rien faire qui ne servait pas à sa musique. «Tout l’argent va à construire mon univers», dit-elle. «C’est pour ça que je refuse toutes les fucking offres de marques en ce moment, parce que je suis genre, ‘est-ce que ça a sa place dans mon univers?’ Non, H&M n’a pas sa place dans mon univers. Et puis fuck H&M. Aucun montant ne pourrait me faire changer d’avis pour travailler avec qui que ce soit. Ça doit être 100% organique.»

Roan commence à se laisser bercer par le flot de la vie que prennent ses chansons. Elle adore les entendre jouer dans des célébrations comme des mariages et des graduations. Elle est aussi d’accord avec l’utilisation de Hot to Go! en tant qu’hymne de stades sportifs. «Je dois juste trouver un moyen d’avoir le public des stades de soccer au Royaume-Uni» dit-elle à la blague. «J’ai besoin que la Coupe du Monde adopte Hot to Go! et je serai à l’aise jusqu’à la fin des temps.

Elle n’a jamais vraiment rêvé d’être célèbre. Elle voulait amener ses amies en vacances, peut-être un jour acheter une maison dans sa ville préférée, Seattle. «Je rêve de monter le show de mes rêves» explique Roan. Alors qu’elle foule la scène et aperçoit la marée d’accessoires roses qu’elle a demandé à ses fans de porter, afin qu’elle les voit plus facilement, elle a pleuré. C’était des larmes de joie, le genre qui font fondre son anxiété. Parce qu’à ce moment, alors qu’elle et son orchestre tout de latex vêtus, elle a pu jouer ses propres chansons devant son plus grand public à date, et tout en valait la peine.

Cet article a été traduit. Pour consulter l'article original, rendez vous sur site de Rolling Stone US.

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