Ceci est la traduction adaptée d’un article de Janeé Bolden, originalement publié par Rolling Stone le 26 novembre 2025. Nous republions l'article originalement intitulé The State of Rap Beef in the Music Biz avec la permission de son autrice. Notez que certaines subtilités et nuances peuvent différer de la version originale.
Les querelles dans le rap ont toujours évolué sur une mince ligne entre la compétition et le chaos, mais en 2025 cette ligne s’est faite plus floue que jamais. Jadis affaire de joutes lyriques à fort enjeu, des rivalités comme celle de Kendrick Lamar et Drake peuvent désormais propulser les écoutes, les mots-clics et la visibilité de marque à des sommets, soulevant du même coup de nouvelles questions. Plusieurs observateurs se demandent désormais: le beef est-il un sport, un outil marketing ou quelque chose de plus dangereux?
«Les médias sociaux ont tout amplifié» dit Trent Clark, chef de TMZ Hip Hop. «Même un fan occasionnel peut émettre une opinion lourde de sens avec très peu de connaissances.» Il souligne que le volume même de discussions entourant ces conflits a transformé le rap beef en un créneau de divertissement à part entière, que l’industrie et ses algorithmes exploitent avec empressement.
Rob Markman, vice-président de la musique et du contenu chez Genius, convient que la dynamique a changé. «Maintenant le monde entier regarde, écoute et encourage» dit-il. «Êtes-vous réellement investi dans cette culture? Ou [simplement] dans la destruction qui l’accompagne?»
Drake contre Kendrick: deuxième round
Au moment où Kendrick Lamar et Drake ont terminé d’échanger leurs piques au printemps 2024, leur querelle était devenue le beef le plus profitable de l’histoire du rap. Not Like Us de Lamar a dominé les palmarès et a remporté cinq Grammys, dont Album et Chanson de l’année, lors du gala de février dernier. «À en juger par les chiffres c’est le plus grand beef de tous les temps» dit Clark.
Mais les suites ont brouillé la frontière entre performance et précédent. En janvier Drake a intenté une poursuite en diffamation contre Universal Music Group pour avoir promu le morceau de Kendrick. Dix mois plus tard une juge a rejeté la poursuite, mais l’industrie demeure prudente quant à son impact sur les futurs diss tracks. «Les rappeurs peuvent-ils encore s’affronter?» se demande Markman.
Si la poursuite a mis en lumière la façon dont un conflit peut augmenter les écoutes, des acteurs du milieu affirment qu’elle a aussi démontré comment ce type de situation peut compliquer les campagnes marketing, les commandites et les tournées. La querelle entre Kendrick et Drake s’est retrouvée devant les tribunaux en partie parce que les deux artistes publient sous Universal Music Group, et il est difficile d’imaginer que cette tension ait été bien accueillie en coulisse. Cela peut attirer l’attention à court terme, mais également rendre la gestion d’affaires à long terme plus complexe.
Les fans dirigent-ils le récit?
Cet automne la tension ravivée entre Cardi B et Nicki Minaj a dominé les manchettes, mais même si les deux se sont échangées de nombreuses piques en ligne, il n’y a pas eu d’échange officiel de chansons. «Avec Nicki et Cardi il y a une part de ‘je ne t’aime pas’. Elles ne s’aiment tout simplement pas» note Markman.
Il ajoute que les deux reines du rap réagissaient souvent à ce que leurs fans leur rapportaient. «Les armées de fans alimentent le feu» dit-il. «Cela doit avoir un effet psychologique. La nature d’internet et du fandom a changé les règles de l’engagement.»
Ce cycle de rétroaction, fans qui provoquent les artistes, artistes qui répondent en ligne, médias qui amplifient ces réponses, brouille la ligne entre compétition et drame alimenté par le public. Et pour les femmes dans le hip-hop, le niveau de surveillance est encore plus sévère. «Il faut être assez dure pour être crédible, mais aussi montrer un certain côté soft girl» ajoute Clark.
Après que Minaj ait insulté sa fille, Cardi a été saluée pour avoir majoritairement choisi la voie haute. Leur rivalité est restée en ligne, et quand Am I the Drama? de Cardi a atteint le numéro un en septembre, il n’y avait pas un seul diss contre Minaj sur le disque.
Quand le beef vire au sang
Certaines querelles comportent toutefois un risque bien plus lourd. La tension entre NBA YoungBoy et Lil Durk, et leurs protégés respectifs, Quando Rondo et feu King Von, a dégénéré en violence réelle il y a cinq ans. En 2020 l’associé de Rondo, Lul Timm, a tiré et tué Von devant un club d’Atlanta, plaidant la légitime défense. Les accusations ont ensuite été abandonnées. Durk est actuellement en prison après avoir été arrêté en novembre dernier pour avoir prétendument orchestré un complot visant à assassiner Quando Rondo en 2022 en représailles. (Il a plaidé non coupable.)
Ce contexte a rendu le récent concert d’Atlanta de YoungBoy particulièrement chargé. La même soirée où il a affirmé au public qu’il ne portait plus d’armes et cherchait «à faire la bonne chose», YoungBoy a invité Lul Timm sur scène et a interprété son diss de 2022 envers Durk I Hate YoungBoy. Un concert subséquent à Atlanta a été annulé. Et quelques semaines plus tard NLE the Great, anciennement NLE Choppa, a fait les manchettes en s’en prenant à YoungBoy dans un nouveau morceau.
Les moments de réconciliation, comme celui entre YFN Lucci et Young Thug qui ont enterré une querelle vieille d’une décennie cet automne, génèrent souvent moins de bruit. «Le public vous laisse tomber quand le drame est terminé» dit Clark.
Alors le beef est-il bon pour les affaires? Dans des cas comme ceux de Kendrick et Cardi, où la compétition contribue peut-être à élever l’art, peut-être bien. «Le rap beef est bon pour la culture sous certains aspects, en ce sens qu’il donne une voix aux gens» dit le vétéran de l’industrie Al Branch, qui a travaillé en marketing pour Jay-Z, Lil Nas X et d’autres. «[Mais] il faut savoir encaisser ses défaites.»














