Fat Mike détonne un peu avec le cadre luxueux de l’hôtel où je le rencontre. Mohawk bleu en battue, barbe naissante grisonnante, le chanteur de NOFX est probablement l’un des punks les plus reconnaissables du monde. Visiblement, la soirée précédente avait été rough, mais il s’offre avec sourire, en sirotant un Apérol Spritz.
C’est, après tout, parmi les dernières entrevues qu'il a à donner. Parce qu’il est sérieux quand il dit qu’après cette tournée, c’est fini. Après plus de 40 ans de carrière, le légendaire groupe de punk-rock californien tire sa révérence.
Fat Mike, 57 ans, est le chanteur, bassiste et co-fondateur de NOFX, qu’il forme avec le guitariste Eric Melvin en 1983. Rejoints par Eric «Smelly» Sandin à la batterie et El Hefe à la guitare, NOFX devient dans les années 1990 et 2000 l’un des plus grands noms du punk-rock. Connus pour leur humour cinglant et leur attachement véhément à la scène DIY, ils personnifient en chair et en os l’esprit du punk. Le chanteur est même co-fondateur du Musée du Punk-Rock, à Las Vegas.
Mais depuis quelques années, Fat Mike ne s’amuse plus autant qu’avant sur scène. «J’ai plein d’autres choses que je veux faire, explique-t-il. J’ai plus de fun à travailler sur des albums avec mon ensemble de cordes que sur des albums de NOFX. Et puis, de toute façon, on est rendu vieux et c'est compliqué de rassembler tout le monde dans le groupe pour enregistrer de nouvelles chansons. Alors, je préfère qu’on arrête maintenant.»
C’est vrai que 40 ans, c’est long pour un groupe, peu importe leur style de musique, mais particulièrement dans le punk. En fait, jusqu’à l’an prochain, NOFX aura eu la plus longue carrière ininterrompue du punk-rock. Ils ont joué partout sur la planète, ont inspiré plusieurs générations de musiciens et leurs chansons aussi drôles que militantes ont poussé un tas de jeunes à s’intéresser à la politique et au monde qui les entoure. Ils ont, comme l’accorde Fat Mike, apporté beaucoup de joie à leur auditoire. Mais dorénavant, il aimerait apporter de la joie aux gens différemment et de manière plus impactante, me dit-il.
Je me demande ce qui pourrait être plus impactant que, par exemple, War on Errorism, un album qui vise directement George W. Bush, son clan et ses politiques, en pleine ferveur patriotique post-11 septembre?
Je lui fait d’ailleurs remarquer que l’album, qui fêtait l’an dernier ses 20 ans, est malheureusement d’une actualité folle.
«Ça ne m’étonne pas du tout. Il n’y a vraiment aucun espoir pour l’humanité telle qu’on la connaît, lâche-t-il simplement. C’est pour ça que quand on crée des œuvres de science-fiction ou qu’on s’imagine le futur, ce n’est jamais sans guerre ou misère. Est-ce qu’on s’attend vraiment à ce que ça se passe dans la joie ou dans la paix? No way, man!»
Des chansons devenues classiques, comme Franco Un-American et The Idiots Are Taking Over ont profité d’un nouveau succès dans les dernières années, entre autres graĉe aux politiques des Républicains, aux États-Unis.
S’il est aussi pessimiste face à l’avenir, pourquoi faire du punk, un style militant et qui appelle à la conscience sociale? Pourquoi écrire toutes ses chansons qui ont poussé des générations à agir et à espérer?
«Parce que certaines personnes trouvent un écho dans ma musique. On leur a apporté de la joie et on a changé leur vie. Pour le mieux, la plupart du temps, blague-t-il. C’est le mieux qu’on puisse faire en tant qu’humains, de tendre la main à notre communauté, notre quartier. Il faut apporter de la joie aux gens, et la partager. Il faut apprendre aux gens comment trouver la joie, parce qu’ils savent fucking pas c’est quoi. Mais moi je l’ai trouvée, et la musique ce n’est qu’une petite partie de ça.»
Il faut dire qu’il a de quoi occuper son temps libre. En plus de ses autres projets musicaux et du musée, il dirige aussi Fat Wreck Chords, le label qu’il a fondé en 1987 et avec lequel il a signé des groupes comme Rancid, Against Me! et les montréalais The Ste-Catherines. Il est également père, producteur de films pour adultes primé et un brillant homme d’affaires.
C’est d’ailleurs pour cela que le groupe est passé une toute dernière fois par Montréal. S'il a envie de faire autre chose, les autres gars du groupe auraient volontiers continué, vu que c’est leur gagne-pain. Fat Mike s’est donc assis et a fait un plan d’affaires: si NOFX faisaient une tournée de 40 villes pour une dernière fois, et selon leurs termes, ils pourraient faire plus d’argent qu’ils n’en ont fait dans les 10 dernières années combinées.
«Au début, les gars ne me croyaient pas. Mais quand les chèques ont commencé à rentrer, ils ont fait ‘wow!’»
Le plan semble simple, mais dans une industrie aussi tortueuse et monopolistique que le show-business, ce qu’ont fait NOFX en tant que groupe DIY relève du miracle. «Si on a joué à des endroits où il y a rarement des concerts, comme des stationnements, des parcs municipaux ou des campings, c’est parce qu’il fallait un endroit qui n’avait pas de contrat d’exclusivité avec des compagnies de bière.»
Il sourit en me disant cela et en voyant sur mon visage un air d’interrogation. «Parce qu’on own le fucking bar!»
Normalement, lorsqu’un groupe se produit, il reçoit de l’argent des ventes de billets, mais jamais un pourcentage des ventes d’alcool. NOFX ne perçoit pas toutes les ventes, concède-t-il, mais 60%, ce qui est quand même du jamais vu. «On fait plus d’argent que le promoteur et on reçoit même un pourcentage du stationnement! C’est comme ça que ça devrait toujours être, mais personne n’y pensait. Mais je l’ai fait et ça fonctionne: les ventes de merch et de bar sont hors de contrôle. Alors, en principe, tout le monde dans le groupe devrait être en mesure de prendre sa retraite paisiblement.»
- YouTubewww.youtube.com
Le parterre du Parc Olympique était en effet bien achalandé en cette deuxième date montréalaise de Punk in Drublic, le nom qu’ils ont donné à cette tournée d’adieu et qui est en fait un festival. 40 villes et 40 chansons par jour, avec plusieurs jours de show dans la plupart des cas. Chaque fois, une liste d’illustres groupes pour les accompagner. Ce dimanche, les quelques 20 000 festivaliers ont vu défiler sur scène des légendes comme The Descendents et Good Riddance, ainsi que des groupes locaux comme les Vulgaires Machins et les Ste-Catherines.
Puis, pour une dernière fois, le groupe est monté sur scène pour une performance qui relevait presque du dialogue avec le public. Charisme extrême, déconnades entre les chansons (et pendant): c’était du NOFX à l’état pur. Comble du spectacle, une magistrale performance de The Decline, leur chanson parue en 1999 et qui traite, avec beaucoup de sagacité, de contrôle des armes à feu, de la War on Drugs et de la complaisance américaine. On apprendra même que ce spectacle était le plus grand que NOFX ait joué de sa longue carrière.
Qu’est-ce que le futur réserve au chanteur, s’il «quitte le punk-rock», comme il dit? Peu importe ce que c’est, ça ne sera pas (forcément) musical, mais ça continuera à apporter de la joie. Évidemment, le musée à Las Vegas continuera d’occuper son temps, mais il a d’autres plans. Un documentaire se trame et il travaille activement sur un concept qui permettra aux couples de discuter de sujets sensibles, sexuellement, de manière dépersonnalisée et objective. Il faut dire que chanteur et homme d’affaires, qui est aussi l’un des investisseurs derrière la compagnie de boissons Liquid Death, est diplômé en sexologie.
Je lui demande s’il a des regrets ou s’il va s’ennuyer d’être dans NOFX. «On l’a fait parfaitement, estime Fat Mike. On quitte en étant, je pense, le groupe le plus respecté du punk.» Je crois que personne ne le contredira.