Ceci est la traduction adaptée d’un article de Rob Sheffield, originalement publié par Rolling Stone le 10 mai 2025. Nous republions l'article originalement intitulé Billy Woods Takes Us Inside His Nightmare avec la permission de son auteur. Notez que certaines subtilités et nuances peuvent différer de la version originale.
Billy Woods est issu de la scène rap underground de Brooklyn, où il s’est imposé comme un poète virtuose, l’un des esprits les plus indépendants et brillants du hip-hop de ces vingt dernières années. Il s’est affirmé avec des perles abstraites des années 2010 comme History Will Absolve Me et Hiding Places. Il a aussi formé avec ELUCID le duo Armand Hammer, livrant des albums salués comme Shrines et We Buy Diabetic Test Strips. Son label indépendant Backwoodz Studioz publie tout autant du rap que du jazz d’avant-garde. Mais avec Golliwog, il signe un album peuplé d’histoires d’horreur: un tour de force d’une densité poétique impressionnante, où son imagination déborde dans une dystopie où les monstres réels sont plus terrifiants que ceux qu’il pourrait inventer. Bienvenue dans ses cauchemars.
Woods avait déjà frappé fort avec son précédent album, Maps, sorti en 2023 avec le producteur Kenny Segal — un carnet de voyage sur la tournée mondiale d’un rappeur, mais aussi un album-concept sur un artiste noir en quête d’un lieu où il pourrait se sentir chez lui. Selon ses propres mots, Maps était «un cube Rubik noir», truffé de textes obsessionnels sur l’art de se cacher dans les codes, de parler en énigmes cryptiques, parce qu’on ne sait jamais qui écoute ni comment ils prévoient de vous piéger.
Maps était à la fois une invitation et un défi — une collection d’énigmes mondiales que Woods vous lançait au visage, tout en en faisant une aventure impossible à refuser. Mais Golliwog est plutôt une confrontation, avec une vision plus sombre. Comme sur Maps, les morceaux sont remplis de personnages contraints de vivre déguisés, pour survivre. Comme il le dit dans Corinthians: «You don’t want to know what it costs to live/What it costs to hide behind eyelids.»
Les 18 morceaux réunissent une brochette redoutable de producteurs underground, dont plusieurs habitués — Segal, The Alchemist, Messiah Musik, Preservation — mais aussi El-P, Sadhugold, Ant (du groupe Atmosphere), Steel Tipped Dove et Conductor Williams. Woods convie aussi son collaborateur de toujours ELUCID, le rappeur de la Nouvelle-Orléans Cavalier, Despot, Bruiser Wolf de Detroit, al.divino du Massachusetts, et l’autrice-compositrice-interprète Yolanda Watson. L’ambiance sonore penche vers l’horreur, avec des échantillons inquiétants de cris humains, de sanglots, d'alarmes de téléphone, de saxophones hurlants et même le sifflement d’un modem à l’ancienne.
Woods tire le titre et la pochette de l’album d’une poupée de chiffon raciste, autrefois banale dans la culture britannique et américaine. «À neuf ans, j’ai écrit une histoire sur un golliwog maléfique», racontait-il au moment d’annoncer l’album. «Ma mère l’a lue et m’a dit que c’était trop dérivé, qu’il fallait retravailler. Nous y voilà.»
Il tisse une série d’histoires d’horreur, avec une virtuosité verbale étourdissante, mais toujours ancrée dans la lutte quotidienne, le racisme et les conflits. BLK XMAS, avec Bruiser Wolf, raconte le drame d’une famille expulsée la semaine de Noël. Les voisins regardent les enfants pleurer, puis sortent fouiller les affaires abandonnées sur le trottoir, y dénichant des cadeaux à offrir à leurs propres enfants. Woods décrit les jouets trouvés dans le tas: «Dolls with they heads missing/Wild-eyed rocking horse, mouth carved into a frown» — des cadeaux inquiétants pour des enfants grandissant dans un cauchemar bien réel, recyclés d’un enfant affamé à un autre.
Il s’inspire autant des œuvres macabres de Stephen King que d’auteurs comme Ralph Ellison, Frantz Fanon ou Fiodor Dostoïevski. Comme il l’a confié récemment à Rolling Stone, «je pense que beaucoup d’histoires d’horreur sont des commentaires sociaux sur ce qui effraie les gens.» On y croise des vampires lubriques, des zombies et des poupées vaudou, mais aussi des propriétaires, des policiers et la violence d’État. BLK ZMBY traverse l’histoire, des bateaux négriers à l’économie pétrolière, jusqu’à un monde capitaliste où les zombies se promènent en Ferragamo et Comme des Garçons. Dans Born Alone, sur une boucle de piano hantée, il décrit la proximité constante de la mort, au point de toujours porter des chaussettes propres.
Dans All These Worlds Are Yours, un morceau déstabilisant avec DJ Haram et le jazzman expérimental Shabaka Hutchings, il lance: «Today I watched a man die in a hole from the comfort of my home.» Dans Jumpscare, il se dit piégé par l’Histoire: «Struggling, rope ever more taut/On my deathbed chuckling about all that time I bought/Afrofuturist Acura Legend on the cinderblocks.» Mais c’est Lead Paint Test qui atteint l’intensité émotionnelle la plus forte: Woods, ELUCID et Cavalier y échangent leurs souvenirs d’enfance sombres, portés par un piano et une trompette endeuillés.
Woods réserve le morceau le plus implacable pour la fin. Dislocated clôt l’album sur un mantra : «I won’t be located.» ELUCID et lui y racontent l’art de disparaître complètement, sur un jazz bancal du trio de Los Angeles Human Error Club. Woods s’imagine pris dans une scène de violence policière («Face pressed to the pavement/Knee in my spine/The crowd undulated») puis fuyant là où on ne peut plus le retrouver.
Golliwog est un spectacle d’horreur qui exige — et mérite — une écoute attentive. Mais c’est un album sans répit: pour Woods, les monstres sont partout, et survivre implique de ne jamais cesser d’esquiver.