Quatre ans après TAO, le rappeur torontois Shad revient avec Start Anew, un album qui contemple le changement, les fins et la manière d’y faire face. Fidèle à sa plume réflexive et à son ton lucide, l’artiste continue d’explorer la tension entre espoir et désillusion dans un monde en mutation.
«Je pensais beaucoup aux fins, à la difficulté de les affronter. On vit une époque de profond changement, et ça vient toujours avec une part de perte. La question, c’est: quelle posture adopter face à ça?», explique Shad, rencontré à la sortie de l’album. Pour lui, Start Anew est moins une collection de chansons qu’une série de méditations sur notre rapport à la transformation. «Le changement peut nous rendre défensifs ou fermés. Mais on peut aussi l’aborder avec courage, créativité et compassion.»
Né au Kenya et élevé à London, en Ontario, Shad s’est imposé au fil des ans comme l’une des voix les plus articulées et humanistes du hip‑hop canadien. Depuis When This Is Over (2005) jusqu’à A Short Story About a War (2018), son écriture oscille entre introspection, engagement social et quête spirituelle. Start Anew poursuit cette trajectoire, mais avec un regard plus intime sur le passage du temps et la vulnérabilité.
L’artiste raconte avoir amorcé le projet «il y a quelques années», en avançant lentement. «J’avais une idée assez vaste pour contenir une douzaine de chansons, mais aussi assez précise pour m’imposer des paramètres. Je savais que le thème devait être durable, quelque chose d’assez intemporel pour rester pertinent après des années de travail.»
Le résultat, un album dense mais aéré, alterne entre morceaux lyriques et compositions plus contemplatives. Shad a travaillé avec des collaborateurs de longue date ainsi que de nouvelles figures, notamment les producteurs sndtrk et Phil Beaudreau. «Je voulais étendre mon cercle, mais toujours avec des gens en qui j’ai confiance. Créer, c’est vulnérable. Tu invites quelqu’un dans ton monde avant que tout soit fini, avant que ça sonne bien. Il faut pouvoir se sentir en sécurité dans ce processus.»
La confiance s’étend aussi aux artistes invités, dont Homeboy Sandman et Chantae Cann, choisis autant pour leur honnêteté que pour leur affinité avec le thème du disque. «Je veux collaborer avec des voix que je peux confier à mon public. Des gens qui donnent toujours le meilleur d’eux-mêmes.»
Au cœur de Start Anew se trouve une réflexion sur la peur du changement, mais aussi sur la création comme acte de lâcher‑prise. Dans la pièce «Don’t», Shad évoque sa propre carrière et l’impermanence du succès. «Je dis: “Don’t listen to this in 40 years. Listen to what it inspires.” C’est une manière de dire que je ne veux pas m’accrocher à une image de moi ou à une place dans l’histoire. J’ai été inspiré par d’autres artistes, et j’espère seulement transmettre cette inspiration à mon tour.»
L’album aborde aussi les cycles d’inspiration et les tensions du milieu musical. Shad en parle avec lucidité: «La musique n’a pas de service des ressources humaines. Il n’y a pas de règles, pas d’endroit où se plaindre. Et tout change tout le temps. Depuis que j’ai commencé, rien n’est resté pareil plus de deux ou trois ans.» Il se souvient d’une époque où MySpace et les CD dominaient encore, avant l’arrivée du streaming. «C’est difficile de suivre, mais le vrai défi, c’est de rester curieux. Tu ne peux pas juste refuser le changement. Il faut au moins essayer de comprendre.»
Selon lui, l’industrie est aujourd’hui plus exigeante que jamais. «C’est objectivement plus dur, surtout pour les nouveaux artistes. Il y a plus de musique que jamais, et tout l’ancien catalogue est encore disponible. Tu te bats contre tout ça, dans un monde plein de distractions et avec peu d’expériences inspirantes en personne.»
Pour Shad, l’inspiration véritable ne se trouve pas sur les écrans, mais dans la vie réelle. «Je ris beaucoup sur les réseaux sociaux, mais je n’y suis jamais inspiré. L’inspiration, c’est quand tu entends ta propre voix créative. Ça m’arrive à un concert, ou quand je lis un livre. Jamais sur les réseaux.»
Malgré les défis, Start Anew n’est pas un album amer. Il invite plutôt à la clarté et à la persévérance. «Je crois qu’à travers tous mes albums, je reviens toujours au même message: se rappeler ce qui est important, et continuer d’avancer. “Keep going and don’t forget.”»
Quant au meilleur contexte d’écoute pour cet album? Shad rit avant de répondre: «En marchant longtemps, ou en nettoyant la maison. Peut‑être en conduisant, mais pas trop loin. C’est un disque qui, je l’espère, peut t’accompagner, que tu l’écoutes attentivement ou que tu le laisses simplement vivre autour de toi.»
















