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«On s'attend à un vrai bordel»: les artistes canadiens aux prises avec les menaces de Trump

Alors que les États-Unis augmentent les tarifs douaniers et évoquent l'idée d'annexer leur voisin immédiat, les artistes du Canada font face à des choix difficiles

«On s'attend à un vrai bordel»: les artistes canadiens aux prises avec les menaces de Trump
Roberto Machado Noa/LightRocket/Getty Images

Ceci est la traduction adaptée d’un article de David Brownepublié par Rolling Stone le 20 mars 2025. Nous republions l'article originalement intitulé ‘We’re Expecting a Shitshow’: Canadian Musicians Grapple With Trump’s Threatsavec la permission de son auteur. Notez que certaines subtilités et nuances peuvent différer de la version originale.

Dans le cadre de l'édition de South by Southwest (SXSW) qui vient de se terminer, l’artiste hip-hop/pop Kimmortal devait jouer lors d’un événement aux côtés d’autres artistes émergents du Canada. Mais environ un mois avant, iel a appris que le spectacle avait été brusquement annulé en raison des inquiétudes liées aux menaces croissantes de Donald Trump envers le Canada, notamment la hausse des tarifs douaniers. Cela signifiait que Kimmortal, un·e artiste indépendant·e, aurait dû voyager de Vancouver à Austin pour un seul concert. «Je me disais: “Je dépense trop pour aller aux États-Unis et faire un seul show”, se souvient-iel. Je faisais le calcul dans ma tête et je me disais : Wow. Il y avait un sentiment de perdition.»


Kimmortal a tout de même décidé de se rendre à Austin, où iel a réussi à décrocher un concert de dernière minute pour compenser les frais de voyage. Mais cette situation met en lumière une nouvelle réalité inquiétante — bien que non encore éprouvée — pour la scène musicale canadienne. Musiciens, promoteurs, agents et autres professionnels de l'industrie de la musique doivent composer avec des tarifs de 25 % imposés sur les biens canadiens vendus aux États-Unis, ainsi qu’avec une hostilité inattendue de l’administration Trump envers leur pays. Ce contexte pourrait entraîner une diminution des artistes américains programmés au Canada, des complications supplémentaires pour l’obtention de visas et une rentabilité réduite sur la vente de produits dérivés pour les artistes canadiens.

«C’est plus cher et plus bureaucratique, surtout pour les artistes indépendants, explique Kimmortal. Ça pèse lourd, comme si je devais me demander : “Pourquoi est-ce que j’essaie encore?” Il y a une impression de flou et de peur.»

Les impacts des tarifs douaniers de Trump sur les artistes canadiens restent encore à mesurer. «Nous recevons beaucoup de questions à ce sujet et il y a encore énormément d’incertitude», affirme André Guérette de l’agence Paquin Artists Agency, l’une des principales agences de talents et de booking au Canada. Guérette explique que plusieurs artistes canadiens s’inquiètent du coût des t-shirts, CDs et vinyles qu’ils transportent pour vendre lors de leurs concerts. Il estime que ces tarifs pourraient faire grimper le coût de vente des t-shirts de 50%. «C’est une source de revenus essentielle, souligne-t-il. Et si une taxe leur est soudainement appliquée, cela élimine toute marge de profit sur leur marchandise. Beaucoup d’artistes en dépendent pour survivre.» (À Austin, Kimmortal a choisi d’apporter des autocollants pour éviter les complications. «Les gens me demandaient : “Yo, tu as des t-shirts?”, raconte-iel. J’ai dû répondre : “Non, c’est trop compliqué d’apporter mes propres produits.”»)

Canada House, la série de spectacles de SXSW, à laquelle devait participer Kimmortal et d’autres artistes, a été annulé en raison d’inquiétudes générales liées au climat actuel, selon Andrew Cash, PDG de la Canadian Independent Music Association (CIMA), qui organise cet événement annuel. Après la réélection de Trump, Cash a observé une intensification de la rhétorique anti-Canada (qui inclut également des menaces répétées d’annexer l’ensemble du pays). «À ce moment-là, il m’était difficile de déterminer dans quelle mesure il était viable de dépenser une partie de l’argent des contribuables canadiens pour un événement dont je n’étais pas certain qu’il serait bien accueilli et sécurisé, explique Cash. Il y avait beaucoup d’inconnues et on veut s’assurer que certaines conditions de base soient remplies. Jusqu’à présent, nous n’avions jamais eu à nous poser cette question.»

KimmortalET IV*

En février, juste avant que la CIMA ne doive finaliser ses plans et signer les chèques, Cash a pris la décision d’annuler. «Ai-je été excessivement prudent? demande-t-il. Oui, absolument. Et je ne le regrette pas. Il est possible que Canada House aurait été largement célébré et que nous aurions reçu un accueil chaleureux, ce qui est le scénario le plus probable. Mais j’ai fait ce que je devais faire. Quand le gars avec le plus grand mégaphone de la planète commence à te démolir, j’ai la responsabilité de prendre une décision qui affecte beaucoup de gens.»

Les autres impacts des tarifs douaniers deviennent déjà plus visibles. Guérette souligne que les délais de traitement des visas ont «explosé», ajoutant : «Il y a maintenant un énorme retard dans le traitement des demandes de visas O et P» — c’est-à-dire les permis de travail non immigrants destinés aux artistes. «Ce qui prenait autrefois deux à trois mois prend soudainement cinq à huit mois. C’est énormément d’incertitude et de risques à intégrer dans un budget déjà très serré. Ça force les artistes à modifier leurs plans ou à reporter leurs tournées.» Kimmortal confirme ces inquiétudes : «Mon dernier visa a été approuvé une semaine avant que je doive quitter le Canada pour mon premier concert. C’était extrêmement stressant. Et ça, c’était avant l’investiture de Trump. Maintenant, on reçoit des messages nous disant que ça prendra encore plus de temps et que ce sera plus cher.»

Les fluctuations monétaires, quant à elles, pourraient dissuader les promoteurs canadiens de payer en dollars américains ou de programmer des artistes américains dans leur pays. Kerry Clarke, directrice artistique du Calgary Folk Music Festival, explique que le taux de change a déjà affecté le processus de réservation pour son événement. «Nous avons un budget artistique de 1,1 million de dollars, et rien qu’avec le taux de change actuel, 235 000 $ s’évaporent, dit-elle. C’est de l’argent que nous ne dépensons pas pour les artistes. La faiblesse du dollar a un impact réel.» En conséquence, le festival pourrait ne pas avoir les fonds nécessaires pour programmer ce qu’elle appelle des artistes américains «de premier plan».

GloinCherryannhoe*

Les tarifs pourraient aussi se faire sentir de manière plus subtile. Dans l’ensemble des festivals canadiens, Clarke dit qu’elle ne serait pas surprise de voir les prix des billets augmenter en raison des nouveaux coûts liés aux fournitures fabriquées aux États-Unis. «Si une entreprise faisait venir ses clôtures des États-Unis ou si les toilettes portables étaient fabriquées là-bas et que l’entreprise avec laquelle nous travaillons doit en acheter de nouvelles, elle nous refacture ce coût, explique-t-elle. Et ensuite, nous devons essayer de le répercuter sur le public.»

Les artistes canadiens ne peuvent pas complètement ignorer le marché musical américain, car l’augmentation potentielle du public et des revenus est considérable. De nombreux groupes canadiens, comme Cowboy Junkies et Theory of a Dead Man, tournent actuellement aux États-Unis ou s’apprêtent à le faire. «Les États-Unis sont un marché énorme, souligne Guérette. Il y a dix fois plus de gens et dix fois plus d’argent. Il est très difficile de développer une carrière artistique à l’échelle mondiale sans y tourner, du moins pour atteindre une portée internationale.»

D’autres artistes canadiens hésitent désormais à traverser la frontière, du moins pour un avenir proche. Le groupe torontois de noise-art Gloin a également joué au SXSW, mais pour le reste de l’année, il consacrera son temps à des concerts en Europe. «Nous n’y avons jamais joué, alors nous voulions nous concentrer là-dessus», explique le chanteur et guitariste John Watson. Un autre facteur, admet-il, était les complications potentielles aux États-Unis. «À quoi allaient ressembler les coûts des visas? Et combien allaient être taxés les produits dérivés que je fais fabriquer au Canada?, dit-il. On s’attendait à un vrai bordel.»

Mais comme d’autres musiciens et promoteurs, Watson assure qu’il a hâte de reprendre sa relation avec le marché américain. «Des proches m’ont dit : “Pourquoi tu veux encore y aller?”, raconte-t-il. Mais on adore aller aux États-Unis. C’est tellement le fun, les fans sont au rendez-vous et les gens qu’on rencontre chaque jour sont géniaux. Je n’ai pas envie de “punir” les États-Unis en n’y allant pas.»

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