Marcher dans Saint-Léonard avec Rowjay, c’est un peu ce qu’on s’imagine que ça doit être de se promener avec le maire du village. Des jeunes qui sortent de leur pratique de basket, une dame qui promène son chien, un candidat local du parti communiste; le jeune rappeur, tout de Kenzo vêtu, salue entre ses puffs d’un joint de hash presque tout le monde qui passe.
«C’est rare qu’il y ait une journée sans que quelqu’un me reconnaisse. Ici, c’est surtout des jeunes. Mais là-bas c’est monsieur-madame tout le monde. Même les serveurs dans des restaurants haut-de-gamme», m’avoue-t-il chez lui, dans le quartier qui l’a vu grandir et qu’il représente maintenant un peu partout dans la francophonie.
Cela n’a fait que grandir cette année, avec la sortie de La Vie Rapide en juin dernier, rapidement acclamé par le public et le critique. S’en est suivi une tournée qui l’a mené un peu partout à travers la France, où il profite d’un public dédié et charmé par ses raps héritiers de ceux du Roi Heenok, adaptés à une génération qui se régale de ses références aux jeux vidéo, aux vêtements de designer et à son franc-parler. Sur ce nouvel album, il rend hommage à ses inspirations, des premières mixtapes à Young Jeezy aux nouvelles sorties du label Griselda.
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Même si la France lui offre une plus grande reconnaissance que sa province natale, il ne fait aucun doute que Rowjay est Québécois. La pièce où l’on discute est à son image, entre peluches géantes de personnages de Nintendo, affiches des Penguins de Pittsburgh et Polaroids de tournée. Il ne comprend donc pas, comme plusieurs de ses fans de côté-ci de l’Atlantique, pourquoi la on ne parle pas plus de lui ici. C’est, après tout, l’un des rappeurs québécois les plus streamés au monde, et probablement l’un des exports les plus reconnaissables du rap québ outre-Atlantique, aux côtés de Fredz et d’Enima.
«Les gens au Québec ont tendance à être très en retard sur le rap, et préfèrent les styles de rap plus alternatifs. Le rappeur le plus streamé sur YouTube au Québec, c’est Souldia, ce qui commence bien. Mais après, c’est Eminem et JuiceWRLD. Au Québec, le marché est très hermétique, le rap ne passe pas à la radio. Il n’y a pas de chanson de ‘vrai’ rap à proprement parler qui a eu un succès à la radio ici, il y avait toujours un côté pop ou latin ou peu importe», résonne-t-il.
Il questionne aussi le modèle québécois, fragilisé depuis plusieurs années et qui dépend beaucoup de subventions. «Les gars reçoivent des subventions pour des clips et ils sont là à flex comme s’ils se promenaient en hélicoptère et qu’ils avaient de grosses liasses. Genre, bro, c’est mon argent ça. Tu flex sur qui, en fait? T’as pas sorti ça de ta poche. Il y a trop d’artistes au Québec qui ont tellement peur de prendre des risques qu’ils ne mettent même pas leur propre argent.»
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Dans la scène française, explique-t-il, le manque de financement gouvernemental pousse les artistes, en particulier dans le monde du rap, à oser plus, et à prendre plus de risques.
«J’ai l’impression de jouer dans deux ligues. Comme si j’étais dans la LNH et la LHJMQ en même temps.»
Cette sensation de jouer dans une autre ligue est d’autant plus accentuée par les accolades qu’il reçoit, et qui proviennent souvent de gens qui ne sont même pas dans le rap. «J’ai croisé les frères Macklovitch, A-Track et Dave 1. Ils m’ont dit que j’avais fait leur projet préféré de l’année. Même pas juste dans le rap, ou le rap québ. Busy P (artiste et manager de Daft Punk) m’a vu et m’a dit qu’il était fan. Je me fais cosign par des gens qui ont vraiment changé la culture. Parce que c’est des vrais amateurs de musique, ils ne font pas ça pour faire plaisir à l’industrie.»
Peu importe, Rowjay continue de faire grandir sa carrière sans le soutien de l’industrie québécoise et de manière indépendante. «Il faut savoir quand mettre son pied par terre, et quand faire des concessions. Il y a des promoteurs qui ont essayé de me lowball, il y a des médias qui voulaient que je les paie pour qu’ils parlent de moi. Mais pour moi c’est important d’être organique, je n’ai jamais payé pour de la promo ou quoi que ce soit. Mon succès vient de mes fans», dit l’ancien étudiant de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.
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«2025 je vais vraiment aller hard, que ce soit en termes de shows ou juste de présence. On retourne en Europe, on va faire la Belgique et la Suisse. Mais j’aimerais aussi qu’on attaque d’autres marchés, comme en Afrique francophone. Mais même au-delà de la francophonie, j’ai un public en Espagne, on prévoit faire des shows à Londres. Il faudra probablement que je retourne en studio aussi», intime Rowjay, qui partage aujourd’hui sa vie entre Paris et Montréal.
À mi-chemin entre deux mondes, Rowjay continue d’imposer sa vision unique du rap, informée par le rap américain et motivée par un désir d’authenticité. Si l’industrie québécoise tarde à lui accorder la reconnaissance qu’il mérite, Rowjay n’en fait pas une obsession. Son succès repose sur une base solide: il est inimitable. Il refuse de prendre le chemin facile, préférant tracer sa propre route, à son rythme et selon ses propres règles. Et, du fait même, il construit peu à peu sa propre ligue.
Rowjay sera en concert à Montréal le 22 février prochain, au Club Soda. Pour en apprendre plus et vous procurer vos billets, cliquez ici.