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Récemment, alors qu’elle faisait la promotion de son nouvel album Lux, Rosalía a diffusé un TikTok Live la montrant au volant de sa voiture, filant dans les rues mouillées de Madrid au son des Noces de Figaro de Mozart, tout en saluant des fans sur le chemin de la somptueuse Plaza Callao. En soi, une telle scène pourrait sembler banale, presque anodine, mais ces quelques secondes – une pop star contemporaine traversant la ville au rythme d’une œuvre classique intemporelle – résument à elles seules l’esprit de son album magistral.
Soyons clairs : Lux ne ressemble à rien d’autre dans la musique actuelle, et aucun autre artiste pop n’aurait pu le concevoir. Rosalía s’est imposée comme la plus audacieuse des provocatrices du genre, avec des projets radicaux comme El Mal Querer, qui fusionnait flamenco et pop, et Motomami, une exploration de la féminité portée par une production incisive et des rythmes reggaeton. Lux va encore plus loin : c’est sans doute son œuvre la plus saisissante, nourrie d’histoire et d’années d’apprentissage, où sons classiques, références à l’opéra et quatorze langues s’entrelacent dans un ensemble bouleversant et intemporel.
Comme souvent chez elle, la controverse n’a pas tardé. Le premier extrait, Berghain, spectacle baroque à l’orgue tonitruant, au chœur dramatique et aux envolées lyriques en allemand, avec la participation de Björk et d’Yves Tumor, a divisé les amateurs de musique classique. Certains ont vite qualifié le morceau de «kitsch». Mais Rosalía n’a jamais été puriste : son but a toujours été de provoquer une émotion avec les outils à sa disposition. Et elle en a beaucoup. Formée au conservatoire, elle a étudié le chant flamenco à l’École supérieure de musique de Catalogne (ESMUC), où un seul élève est admis chaque année, suivant un parcours qui allait de Chopin à Ella Fitzgerald. Mais elle garde aussi une âme rebelle : Lux choque par son irrévérence même – ce n’est évidemment pas un album classique. C’est Mozart avec l’énergie d’une baddie, Bach un joint à la bouche.
L’album, divisé en quatre sections ou «mouvements», explore la quête de soi et de Dieu dans un monde chaotique. Dès l’ouverture, Sexo, Violencia, y Llantas, ses accords de piano dramatiques posent le ton : «Comme ce serait beau de vivre entre les deux», chante-t-elle. «D’abord j’aimerai le monde, puis j’aimerai Dieu.» Sur Reliquia, portée par des cordes somptueuses, elle médite sur tout ce qu’elle a perdu – la foi, le sourire, une amie – avant de conclure : «Mais mon cœur n’a jamais été à moi ; je le donne toujours. Prends un morceau de moi, garde-le quand je ne suis pas là.»
Sur Focu ‘Ranni, elle canalise la colère et la désillusion, évoquant un mariage avorté, avant d’affirmer : «Je n’appartiendrai qu’à moi et à ma liberté.» La Perla, en duo avec Yahritza, raille un homme imbu de lui-même : «briseur de cœurs national, terroriste émotionnel, raté de haut niveau.» Mais c’est Divinize qui émerge comme le sommet de l’album : sur des cordes étincelantes et une production dense, elle passe du catalan à l’anglais pour se mettre à nu : «Fais-moi mal, j’avalerai ma fierté ; je sais que j’ai été faite pour me diviniser.»
La fin, solennelle, la montre imaginant son cercueil orné de magnolias : «Je viens des étoiles, mais aujourd’hui je retourne en poussière pour y revenir.» La voix résonne comme auréolée. Quand Lux s’achève, le rideau tombe, laissant l’auditeur seul avec un album total, aussi intense et démesuré que la vie elle-même.
















