Skip to content
Recherche

SeinsSucrer, superhéro du rap moderne

Le jeune rappeur s’allie à Stack Moolah pour créer son album le plus audacieux et le plus personnel.

SeinsSucrer, superhéro du rap moderne

De dire de SeinsSucrer qu’il est prolifique ne lui ferait pas justice. Au cours des cinq dernières années, le jeune rappeur originaire de l’est de Montréal a fait paraître près de 30 albums et EPs. Sa voix et son accent distinctifs, ainsi que ses raps délurés purement montréalais, lui ont valu des collaborations avec des artistes comme Mike Shabb, Loe Pesci et Stack Moolah.

C’est d’ailleurs avec ce dernier, également derrière des chansons de Loud, Lary Kidd, Ransom ou encore Boldy James, que «le Suc’» a conçu son nouvel album, qui paraît ce 8 novembre de manière indépendante. Probablement son plus audacieux à date,cet opus voit l’artiste pousser sa créativité, et son personnage, encore plus loin. Simplement intitulé Un album dont vous êtes le héros, c’est exactement ce que vous pensez que c’est. Très littéralement, un album au fil duquel vous faites des choix qui seront critiques pour le jeune Sucre, passant d’une chanson à une autre.


«Dans le fond, c’est un joint qui te parle. Pis d’après ce qu’il te dit dans le skit, t’as différentes directions que tu peux prendre, explique SeinsSucrer. Ça demande quand même l’effort à la personne de passer d’une track à l’autre, mais je pense que tu peux quand même l’écouter dans l’ordre et ça sonne bien.»

Ce parcours, c’est un peu une version exagérée de la vie de Jessy Benjamin, alias SeinsSucrer, et des choix qu’il a dû faire. L’aide et l’impact de Stack Moolah, vétéran des arts urbains, ont été importants, tant sur cet album que dans la vie. «Je travaillais comme livreur chez Amazon, quand j’ai reçu les premiers beats de Stack, il y a quelques années», dit-il, alors que je les rencontre tous deux dans un parc, à la fin de l’été.

«J’étais dans le camion avant de partir, cette journée-là ils m’avaient rempli le camion. Il était tellement plein que je pouvais même pas être debout dedans! J’étais fâché, et toute la journée j’écoutais les beats et je pensais juste à rentrer chez moi pour rapper.» À la fin de cette fatidique journée, le rappeur a quitté son emploi et une semaine plus tard, Pushe le whip, leur première mixtape collaborative est née.

«Ce qui est drôle, c’est que peut-être un an après notre première collaboration, je me suis dit que ça serait cool de faire un autre projet avec Sucre, explique Stack Moolah. Et je pensais à A Prince Among Thieves, de Prince Paul, qui était aussi un album-concept où tu suivais l’aventure d’un jeune MC.»

Paru en 1999, ce deuxième album studio de producteur et ancien membre des Gravediggaz et De La Soul retrace l’histoire de Tariq, un jeune rappeur (incarné par Breeze Brewin des Juggaknotz) qui tente de récolter assez d’argent pour enregistrer une démo à envoyer à RZA, leader du Wu-Tang Clan. Au cours de l’album, différents personnages interviennent, notamment joués par des rappeurs comme Kool Keith, Big Daddy Kane ou encore Xzibit. «Là, Seins il me hit up et il me dit qu’il veut faire un album conceptuel. C’était pas tout à fait ça, mais ça y ressemblait. C’est là que je me suis dit qu’on pourrait amener d’autres gens de la scène à participer, sans nécessairement rapper.»

Dr. Stein, Stack Moolah, SeinsSucrer, Badmninto

«Ça faisait environ un mois que j’y pensais, poursuit SeinsSucrer. J’avais déjà fait des beats, j’avais presque déjà fait un album, mais je trouvais le concept tellement nice que je me suis dit qu’avec des beats de Stack, qui pourra m’aider avec la vision, ça amènerait les choses à un autre niveau.»

Comme de fait, sans être réellement autobiographique, Un album dont vous êtes le héros est tout de même un touchant regard sur la vie de SeinsSucrer, ses doutes et ses regrets, les dures leçons qu’il a apprises et l’importance de commettre des erreurs. Comme dans la vraie vie du jeune Benjamin, le protagoniste a ici des choix cruciaux à faire, en tant que jeune adolescent. S’investir dans le basketball, sa passion de toujours, ou le rap, une autre passion mordante. Est-ce qu’on prend cette première bière? Est-ce qu’on fume ce premier joint?

«Vu que c’était la première fois que j’essayais de faire un album du genre, je me suis dit que ça serait bien que l’histoire se rapproche de la mienne. Donc, c’est l’histoire d’un jeune qui doit faire le choix entre le sport et ses passions, la drogue, l’alcool et toutes les conneries, dit SeinsSucrer. Je suis pas allé dans le fantastique. C’est définitivement l’album le plus personnel que j’ai écrit; même si c’est pas toujours mon histoire, c’est des choses dont j’ai été témoin.»

Sur de solides productions de Stack Moolah, qui prouve ici encore une fois son statut de dénicheur d’échantillons hors-pair, SeinsSucrer nous amène d’une émotion à l’autre, se questionne, remercie les gens qui ont jalonné son parcours, implore l’aide du Bon ‘ieu… Il raconte une histoire typiquement montréalaise, qui pourrait être celle de plusieurs jeunes de son quartier, interprétant coup à coup le rôle d’intervenant, de grand frère, d’aspirant rappeur, créant au fil des douze chansons un genre de bildungsroman idiosyncratique, auditif et interactif.

Dans la vraie vie, on connait le choix qu’a fait SeinsSucrer. Bien qu’il ait préféré une carrière dans le rap, dont il arrive aujourd’hui à vivre, il n’en a pas pour autant perdu son esprit sportif. Lorsque je lui demande comment il lui est possible de produire à un tel rythme, il offre une explication simple et sort son téléphone cellulaire.

«Check ça!, me dit-il en faisant défiler les textes dans son application Notes. Tout ça, c’est dans les deux dernières années. C’est vraiment une addiction : j’ai toujours l’impression que la meilleure bar n’a pas encore été trouvée. Il m’est arrivé de faire des tracks à un moment où ça me tentait pas, ou que je devais faire autre chose, mais j’ai fini par faire la track. Si je l’avais pas fait, ou si je l’avais fait deux heures plus tard, la chanson serait totalement différente. Il y a ce truc-là où je ne veux pas laisser la magie filer entre mes doigts, parce que tu sais pas quand tu vas vraiment toucher au truc.»

Ce dévouement quasi obsessif de SeinsSucrer se rattache encore une fois au sport, comme une constante quête d’authenticité et de dépassement de soi. Il a su, au fil des ans, passer d’un son trap à la Carti, à travailler avec certains des producteurs les plus réputés de ce qu’on pourrait appeler une renaissance du boom bap. Ses paroles et son style unique lui ont valu une horde d’auditeurs dédiés, pour qui parler de la Sucette s’apparente à une poignée de main secrète.

Avec Un album dont vous êtes le héros, il propose un voyage introspectif, interactif et profondément personnel, mature sans manquer d’humour, où chaque choix, chaque verse, semble témoigner de cette urgence de saisir l’instant. SeinsSucrer, à l’image de son parcours, montre que le rap peut être à la fois un jeu, un exutoire, et une vocation à part entière. Comme il le dit, le plus important, c’est de «faire son shit».


★★★★

Plus de nouvelles

«UFO Religion», un nouvel album-OVNI de Safia Nolin
Marie Ouardiya Atcheba

«UFO Religion», un nouvel album-OVNI de Safia Nolin

«C’est peut-être pas la fin du monde, mais c’est quelque chose pour moi.»

Cette phrase, qui ouvre le nouvel album de Safia Nolin, UFO Religion, continue de résonner dans ma tête lorsque je quitte le Miami Deli, après notre entretien.

Keep ReadingShow less
FME 2024: les moments forts
Photo: Dominic McGraw

FME 2024: les moments forts

Le Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue a une fois de plus prouvé que c’est l'un des rendez-vous musicaux incontournables du Québec. Fidèle à son habitude, l'événement a offert une programmation variée qui a pu ravir les mélomanes de tous horizons.

Chaque année depuis 22 ans, la ville de Rouyn-Noranda, d’habitude plutôt tranquille, devient bouillonnante d’énergie et de cultures, alors que les artistes et professionnels d’industrie d’ici et d’ailleurs bravent les heures et la route pour aller y découvrir ce qui se fait de mieux en musique émergente.

Keep ReadingShow less
Rolling Stone a un nouveau système de notation des albums

Rolling Stone a un nouveau système de notation des albums

Comme toutes les publications, Rolling Stone a eu son lot d’idées innovantes, mais qui sont mal passées. Comme en 1968, quand on a distribué gratuitement aux lecteurs des pinces à joints, ou quand on a mis Blind Melon sur notre couverture, complètement nus, en 1993. Ce qui est important, c’est qu’on a compris et appris de nos erreurs (la plupart du temps). Il n’y a jamais eu de cuiller à coke avec le logo Rolling Stone, et on n’a jamais tenté une couverture semi-érotique avec Yello Mollo.

Récemment, on est passé par un processus d’apprentissage similaire, avec notre système de critiques d’albums. C’est un peu inside baseball, vous nous en excuserez, mais ça vaut la peine de vous l’expliquer, par souci de transparence. Pendant des décennies, Rolling Stone a utilisé un système d’étoiles pour noter les albums. Un album classique recevait cinq étoiles, un excellent album en recevait quatre, et ainsi de suite jusqu’à une étoile, qui représente un effort médiocre.

Keep ReadingShow less
Avec son nouvel album MILITIA, Kroy est fin prête pour le combat

Avec son nouvel album MILITIA, Kroy est fin prête pour le combat

Difficile de croire que ça fait déjà huit ans qu’on a eu droit àSCAVENGER,, le premier effort solo de Kroy. Cette entrée remarquée de la musicienne, que l’on connaissait jusque-là pour son travail avec Milk & Bone, nous a introduit à son style de trip-pop particulier, où la noirceur et la clarté dansent lascivement au lieu de se battre.

Ce vendredi, elle nous offre MILITIA, un album qui se penche sur les vicissitudes de sa vingtaine. Ce projet, né d’un long processus créatif qui s'est étalé sur près d’une décennie, ne se contente pas d’enchaîner des morceaux bien construits; il raconte une transformation, l’évolution d’une artiste qui utilise sa musique pour livrer la guerre à ses sentiments.

Keep ReadingShow less
Osheaga jour 3: Une dernière journée haute en couleur
Photo: Tim Snow

Osheaga jour 3: Une dernière journée haute en couleur

Et une autre année réussie pour Osheaga!

C’est sous des températures plus clémentes et des pluies occasionnelles qu’une centaine de milliers de festivalières et festivaliers se sont réunis au Parc Jean-Drapeau pour clôre cette célébration musicale. Comme pour s’assurer de garder le public en haleine jusqu’à la prochaine édition, les organisateurs ont mis les petits plats dans les grands. Au programme, du punk et du funk, de la French Touch explosive et de la R&B alternative.

Keep ReadingShow less