«Que la folie commence!» a rugi un Ozzy Osbourne malicieux depuis son trône orné de chauves-souris et de crânes, devant un Villa Park plein à craquer, à Birmingham, en Angleterre. Le Prince des Ténèbres foulait enfin la scène après qu’un marathon de groupes de metal légendaires eut rendu hommage à sa vie et à son œuvre tout au long de la journée, dans le cadre du concert Back to the Beginning de Black Sabbath, le samedi 5 juillet.
Mais à Birmingham, l’été de Sabbath battait déjà son plein depuis plusieurs semaines. La fière ville natale du heavy metal avait déroulé le tapis pourpre pour le retour à la maison de ses fils les plus célèbres. Les pubs étaient décorés de ballons et de drapeaux violets, des murales s’affichaient partout où l’on posait les yeux, et les gens se promenaient en habits d’Ozzy, envahissant les rues avec leurs t-shirts élimés et leurs vestes en jean. Pour les fans de metal venus des quatre coins du monde, c’était l’équivalent d’une finale de Coupe du monde.
Cette ambiance de carnaval se faisait sentir dès qu’on sortait de la gare de New Street, où les fans se rassemblaient autour de la murale du Black Sabbath Bridge, que Osbourne et le groupe avaient signée plus tôt dans la semaine. Nous avons croisé un fan venu de Londres, qui affirmait être en pèlerinage sabbathien avant l’ouverture des portes plus tard dans la journée. «Je fais le tour des lieux importants, comme The Crown où ils ont donné leur tout premier concert, les différentes expositions, et Ozzy the Bull!»
Et tout cela, bien sûr, avant même de mettre les pieds à Villa Park, le stade de football historique situé dans un quartier ouvrier qui fut autrefois le chez-soi des quatre membres du groupe.
À notre arrivée, nous avons été accueillis par les grondements d’une distorsion et un gigantesque Ozzy gonflable qui veillait sur son royaume. En entrant dans le stade, Cody Holl, un fan venu de Pennsylvanie, était en état de délire euphorique. «C’est le dernier Sabbath de Black Sabbath, a-t-il lancé. Je ne les avais jamais vus auparavant et, après la tournée de 2017, je me suis promis que peu importe les circonstances, je serais là.»
Les figures royales du heavy metal qui se sont succédé sur scène durant la journée semblaient toutes saisies par une même forme de révérence — sans doute parce que Black Sabbath a façonné et influencé chacun d’entre eux, des premiers groupes comme Mastodon jusqu’aux vétérans du thrash comme Anthrax et Lamb of God. Ces derniers ont offert l’un des moments forts de la journée avec une reprise de «Children of the Grave», qui a déclenché un gigantesque cercle de slam au milieu du terrain.
La journée a été ponctuée de moments comme celui-là : pour les chanceux qui avaient réussi à se procurer un billet pour cette fête à guichets fermés, le principal défi était de réussir à tout absorber.
Même avec une programmation aussi prestigieuse, il y avait encore de la place pour la surprise, alors que Yungblud s’est joint au premier supergroupe de la journée pour une reprise de Changes. Surgissant sur scène avec fureur et intensité, il a dédié la chanson la plus émotive du groupe à l’attaquant de Liverpool Diogo Jota, récemment décédé dans un accident de voiture. «Nous aimerions tous collectivement dédier cette prochaine chanson à Diogo Jota. Que Dieu bénisse Black Sabbath, et que Dieu bénisse Ozzy Osbourne», a-t-il lancé avant une interprétation bouleversante qui a figé tout le stade.
Au cœur de cette émotion palpable, il y a aussi eu place pour l’absurde, alors que Travis Barker de Blink-182, Chad Smith des Red Hot Chili Peppers et Danny Carey de Tool se sont affrontés dans une joute de batterie menée par Tom Morello de Rage Against the Machine. Le tout avant que Billy Corgan et KK Downing, guitariste de Judas Priest, n’entrent en scène pour lancer un furieux Breaking the Law.
Le spectacle s’est poursuivi avec d’autres légendes comme Alice in Chains, Gojira, Pantera et Tool, chacun s’appropriant son bloc de 30 minutes. Tandis que le soleil disparaissait derrière les nuages, Slayer est monté sur scène et a déclenché le plus gros moshpit de la journée — un chaos si intense qu’on risquait sa vie en y entrant — alors que le groupe déchaînait des morceaux fondateurs du genre comme Reign in Blood et Angel of Death.
Guns N’ Roses ont lancé la dernière ligne droite vers Metallica, Osbourne et Black Sabbath. Ayant eux-mêmes été en tête d’affiche dans ce même stade une semaine plus tôt, les géants du rock savouraient visiblement le moment alors qu’ils reprenaient Sabbath Bloody Sabbath, avant d’enchaîner avec l’intro de guitare emblématique de Welcome to the Jungle.
L’un des hommages les plus profonds rendus à Sabbath est venu de James Hetfield de Metallica, alors qu’il contemplait les milliers de personnes devant lui. «Sans Sabbath, il n’y aurait pas de Metallica. Merci les gars de nous avoir donné une raison d’exister», a-t-il déclaré avant de lancer une série d’hymnes couvrant toute la carrière du groupe.
Après un montage stroboscopique retraçant ses heures de gloire, Osbourne est monté sur scène et n’a pas mâché ses mots. «C’est tellement bon d’être sur cette putain de scène, vous n’avez pas idée», a-t-il lancé avant de demander : «Est-ce que vous avez passé une bonne journée aujourd’hui?», juste avant que ne résonne l’intro d’orgue inquiétante de Mr. Crowley.
Osbourne tremblait d’émotion en interprétant la ballade Mama I’m Coming Home, et l’intensité du moment était presque indescriptible, alors qu’il retrouvait le lieu où tout avait commencé, plus de 50 ans auparavant.
Après une version déchaînée de Crazy Train, il a quitté la scène, pour revenir ensuite dans une formule resserrée avec Black Sabbath, qui a fait son entrée sous la pluie et les cloches d’église de War Pigs. C’était du théâtre pur, alors qu’Osbourne agrippait son pied de micro, les lettres OZZY tatouées sur les jointures, et chantait cette phrase d’ouverture qui résonne encore aujourd’hui : «Generals gathered in their masses…»
Bien qu’il soit confiné à son fauteuil, Osbourne se tortillait et se débattait comme un homme invoquant jusqu’à la dernière étincelle de l’esprit rebelle qui l’habite, concluant en force avec Iron Man et Paranoid. «Devenez complètement fous, c’est la dernière chanson», a-t-il lancé avant cette dernière – et la foule ne s’est pas fait prier.
Malgré les nombreux adieux annoncés au fil de sa carrière, il y avait dans celui-ci quelque chose de profondément définitif, qui conférait à la soirée une poignante gravité.
La grande tragédie, c’est que bien souvent, les légendes disparaissent avant que des célébrations de cette ampleur puissent avoir lieu. Mais par miracle ou grâce divine, Ozzy Osbourne était bel et bien là pour tirer sa révérence, entouré des siens.
Ceci est la traduction adaptée d’un article publié par Rolling Stone. Notez que certaines subtilités et nuances peuvent différer de la version originale.