Harvey Mason Jr., président-directeur général de la Recording Academy, maison des Grammys, et de MusiCares depuis 2020, admet que la question de l’intelligence artificielle occupe désormais une part importante de son travail. Il affirme représenter près de 40 000 membres qui cherchent à comprendre comment intégrer cette technologie sans affaiblir le rôle des créateurs humains, dans une nouvelle entrevue accordée à Billboard. Cette recherche d’équilibre est devenue urgente à mesure que des morceaux générés ou modifiés par des modèles d’IA circulent plus largement, parfois en brouillant les repères entre expérimentation et imitation abusive.
Selon Mason, la réalité du terrain est déjà très éloignée des débats théoriques. De nombreux professionnels utilisent l’IA de manière ponctuelle, souvent pour résoudre un problème précis en studio. Certains s’en servent pour imaginer une ligne mélodique lorsqu’ils peinent à compléter un refrain, explique-t-il. D’autres génèrent rapidement une liste de rimes possibles ou une série d’idées pour relancer une séance d’écriture. Il existe aussi des cas où des artistes construisent une chanson à partir de paroles ou de mélodies produites par un modèle, ou encore où des voix artificielles servent à enregistrer une démo lorsqu’un interprète n’est pas disponible.
Cette utilisation partielle constitue aujourd’hui la norme, selon Mason. Il observe rarement des projets entièrement conçus par des plateformes d’IA, bien que de telles pratiques existent. Le défi pour l’Académie consiste donc à définir des critères de reconnaissance qui reflètent cette zone intermédiaire, où l’outil ne remplace pas le geste artistique, mais le modifie.
Les règles actuelles des Grammy Awards prévoient qu’une œuvre ne peut être éligible que si la contribution humaine demeure centrale dans la catégorie visée. Une interprétation vocale peut être considérée même si l’accompagnement a été généré avec l’aide de l’IA, tandis qu’une composition entièrement automatisée est exclue. Mason souligne toutefois que la frontière est devenue difficile à tracer. Les modèles capables de reproduire la voix et le style d’un artiste sans son autorisation posent des enjeux de droit à l’image sonore et de responsabilité juridique qui évoluent plus vite que la réglementation.
«Une œuvre peut toujours être nominée dans une catégorie liée à la performance [si] elle a été créée ou composée par une IA et interprétée par un être humain. Le recours à l'IA ne rend pas votre candidature inéligible. Cela vous oblige simplement à choisir les catégories appropriées dans lesquelles vous souhaitez être pris en considération...», dit Mason. «Si vous faites quelque chose d'illégal ou qui affecte un artiste d'une manière protégée, nous pouvons prendre certaines mesures pour éviter cela. Mais tout cela commence à devenir vraiment flou et nécessite plus que jamais des éclaircissements.»
Cette zone grise annonce une période de révision continue, alors que les institutions tentent de protéger les artistes tout en reconnaissant une technologie déjà omniprésente dans la création musicale contemporaine.
















