Ceci est la traduction adaptée d’un article de Maya Georgi, originalement publié par Rolling Stone le 22 octobre 2025. Nous republions l'article originalement intitulé Fall Out Boy Look Back at 20 Years of ‘From Under the Cork Tree’: ‘It Echoes on Forever’ avec la permission de son autrice. Notez que certaines subtilités et nuances peuvent différer de la version originale.
Il y a vingt ans, Fall Out Boy se trouvait en décalage avec la réalité. Leur quotidien consistait à enchaîner les tournées épuisantes et à entasser les quatre membres dans une seule chambre d’hôtel. Parfois, le chanteur Patrick Stump, le bassiste Pete Wentz, le guitariste Joe Trohman et le batteur Andy Hurley dormaient même sur le plancher. Pourtant, dans l’univers des palmarès Billboard et des blogs MySpace, Fall Out Boy semblait interstellaire, propulsé vers le succès grand public. Tout cela grâce à leur album phare de 2005, From Under the Cork Tree.
Avec le goût prononcé de Stump pour les refrains accrocheurs et l’écriture malicieuse de Wentz, Cork Tree a transformé ces musiciens issus de la scène hardcore de Chicago en véritables rock stars. L’album s’est hissé au neuvième rang du Billboard 200, a offert au groupe son premier succès dans le Top 10 avec Sugar, We’re Going Down et leur a valu une nomination aux Grammy Awards dans la catégorie Révélation de l’année. Mais plus encore, Cork Tree a fait du groupe une sorte de thérapeute collectif diffusé dans les haut-parleurs d’une génération entière d’adolescents en jeans serrés, propulsant le pop punk et le emo au cœur de la culture populaire. Ce moment culturel reste vertigineux.
«Nous n’avions aucun recul sur ce qui se passait à l’époque», confie Wentz à Rolling Stone.
Stump partage cette incrédulité en repensant à cette période: «Personne ne s’y attendait», dit-il.
Vingt ans plus tard, Fall Out Boy célèbre From Under the Cork Tree sous toutes ses formes. La semaine dernière, le groupe a lancé une édition anniversaire spéciale de l’album, comprenant des pistes remastérisées et des coffrets exclusifs. Plus tôt cette année, Rolling Stone a classé Cork Tree parmi les 250 meilleurs albums du XXIe siècle, et Sugar figure sur la liste des 250 meilleures chansons du siècle.
Nous avons discuté avec Wentz et Stump, le duo créatif derrière les chansons de Cork Tree, afin de revenir sur la création de l’album, son héritage durable et les souvenirs marquants qu’il a laissés.
Cette année, From Under the Cork Tree fête ses 20 ans. Qu’est-ce que ça fait de se replonger dans cet album deux décennies plus tard?
Wentz: C’est intéressant d’y repenser, parce que sur le moment, tout allait si vite. Ce n’était pas un succès du jour au lendemain, mais on sortait tout juste de Take This to Your Grave et on enchaînait directement. C’était notre premier disque soutenu par une grosse machine, une vraie maison de disques. À l’époque, on se disait: «J’espère qu’il sortira vraiment. J’espère qu’ils ne vont pas le mettre sur une tablette et l’oublier.» [Rires] C’est étrange d’en parler vingt ans plus tard, avec le recul, et de se dire: «Eh bien, il est bel et bien sorti.»
Stump: Pour rebondir sur ce que tu dis, Pete, à propos du succès soudain: on n’avait pas l’impression que c’était rapide, mais en fin de compte, ça l’a été. Ce qui est fascinant, c’est qu’on peut être sur une trajectoire lente, jouer un concert à la fois, bâtir ça petit à petit… et soudain, tout bascule. Durant cette période, on a donné quelque chose comme 530 spectacles en deux ans. Je n’avais même pas d’adresse officielle. On était complètement absorbés par la tournée, et le chemin vers le succès a été complètement fou.
De quoi vous souvenez-vous le plus pendant la création de l’album?
Wentz: Il y a eu plusieurs versions différentes de Sugar, We’re Going Down. Je me souviens de moments où on revenait sans cesse à la version la plus simple. À un certain moment, je pense que le refrain avait été écarté, et on s’est dit: «Patrick, rejoue le dernier truc que t’as fait. Non, celui d’avant!» À l’époque, il n’y avait pas encore de notes vocales sur les téléphones, alors on était tous dans la même pièce à essayer de se rappeler: «Non, le dernier!» Et on espérait que le gars se souvienne d’un passage qu’il pensait probablement sans importance.
Stump: En fait, c’était pour le couplet. C’était brutal. [Le réalisateur] Neal Avron ne plaisantait pas. Il est brillant, c’est un vrai plaisir de travailler avec lui, mais il n’a pas peur de dire la vérité. Il nous a réunis et il a dit: «J’aime beaucoup cette chanson. Mais je ne pense pas que vous ayez le couplet que vous voulez vraiment.» Je lui ai proposé quelques idées de changements, mais elles n’étaient pas assez marquées. Je ne comprenais pas à quel point la modification devait être importante. En fin de compte, on a gardé tout le reste de la chanson sauf le couplet, et ça peut sembler anodin, mais c’était le cœur du morceau. [Chante]: «Am I more than you bargained for yet?» Tout ça, c’était nouveau.
Ça a probablement été l’une des expériences d’écriture les plus éprouvantes de ma vie. D’habitude, je travaille mieux seul, à partir d’une idée de quelqu’un que je retravaille ensuite. Ensemble, tous les quatre, on écrit rarement dans la même pièce. Mais pour celle-là, on a essayé des dizaines d’approches différentes. On n’avait pas le choix: il fallait qu’on réussisse à la faire fonctionner dans ce local de répétition. C’était comme ce jeu en cours d’éducation physique avec le parachute, où tout le monde doit le tenir et passer en dessous. On tenait tous cette chanson à bout de bras pour qu’elle tienne debout, et elle existait à peine. On me parle encore de cette chanson tous les jours, et je ne comprends toujours pas comment elle a vu le jour. Pour le reste, je sais d’où ça vient: je me souviens avoir lu les paroles de Pete et avoir écrit le reste de la chanson. Je me rappelle m’être assis dans un couloir en me disant: «Ok, ça a du sens», et «Je vais répéter ça.» Mais le couplet, je ne sais pas. C’est un peu magique.
Vous avez écrit la mélodie en dix minutes, n’est-ce pas?
Stump: Oui. La majeure partie de la chanson, le pré-refrain, le refrain, tout ça, c’est venu très vite. Quand Pete écrit des paroles, ce n’est pas vraiment sous forme de texte structuré, c’est un flux de conscience. Parfois, tout s’emboîte naturellement, et parfois, ça demande un peu plus de travail. Il peut avoir une phrase de génie qui flotte quelque part, et c’est à moi d’aller chercher ailleurs dans ses textes ce qui s’y raccorde. Pour Sugar, c’était exactement ça: je suivais le fil, et au fur et à mesure que je lisais, la chanson se dessinait toute seule. Mais les couplets, eux, ont pris une éternité.
Cet album a été déterminant, parce qu’il montrait jusqu’où le pop punk pouvait aller. Quelle réflexion guidait votre approche sonore à l’époque?
Stump: Pete m’a dit quelque chose d’important au début de Cork Tree, parce que je voulais faire un disque vraiment étrange, expérimental. Je me disais: «On n’aura pas une autre chance de faire nos débuts sur une grande étiquette, et on va sûrement se faire mettre dehors après. Autant tout tenter.» Mais Pete m’a répondu: «Fais juste ce que tu fais. Beaucoup de ces idées vont ressortir naturellement.» J’ai gardé cette idée que nous étions un groupe pop punk, mais je voulais explorer ce que ça pouvait signifier différemment. J’ai consciemment essayé d’intégrer des éléments inusités, de repousser les limites sans que ça paraisse trop. Par exemple, ouvrir le disque avec Our Lawyer en 6/8, c’était assez atypique à l’époque. Get Busy Living a des teintes sombres, presque folk. Il y avait toutes sortes de petits éléments que j’essayais de glisser subtilement.
Le nouveau coffret comprend un billet du Nintendo Fusion Tour, une tournée qui a marqué votre carrière. Quels souvenirs marquants gardez-vous de cette période?
Wentz: Je me souviens de ce moment où tu deviens le groupe dont tout le monde échange les mp3, et où tu atteins une sorte de masse critique qui peut te propulser d’un côté ou de l’autre. Durant cette tournée, on a fini par jouer dans une aréna, et je me rappelle que certains parlaient de «vendre son âme» ou quelque chose du genre. Mais pourquoi pas? On a grandi dans des groupes hardcore, avec cette idée d’ironie et de provocation. À un moment, on s’est dit: «Quel serait le truc le plus “pop” qu’on pourrait faire?» Et on a pensé: «Et si on faisait un changement de costume?» Alors, sur cette tournée, on faisait une petite entracte et un changement de tenue, ce qui n’avait aucun sens dans ces salles. Je me disais: «Au moins, ça fera parler les gens.» Finalement, ça les a surtout rendus confus.
Stump: En parlant de changements de costume, je me souviens que c’était la première tournée de Panic! at the Disco, non?
C’est très “Panic! at the Disco”, effectivement.
Stump: C’était drôle. Ils tournaient encore en van. À ce moment-là, nous, on avait un autobus et un peu de production, donc on pouvait se permettre quelques idées scéniques. Eux, c’était leur toute première tournée. Ils descendaient de leur van en complet trois-pièces et tout.
Wentz: Oui, et ils avaient cette règle folle: ils ne voulaient pas être vus sans leurs complets à motifs paisley. Donc quand nous prenions l’avion pour l’Europe en short de basket, eux voyageaient en complet.
Stump: Je me rappelle d’un trajet qu’on a fait dans le désert de l’Arizona ou quelque chose du genre, et ils sont sortis du van en gilets paisley. Je leur ai dit: «Les gars, il fait une chaleur étouffante. Vous n’avez pas besoin de faire ça.» Mais ils étaient déterminés. J’aimerais que les gens aient pu voir ça.
Comment c’était de prendre votre envol en 2005, en jouant sur la Warped Tour tout en passant par TRL entre deux étapes?
Wentz : La plupart du temps, tu ne pouvais pas vraiment le sentir. Même si on commençait à percer, on voyageait sans cesse. On se retrouvait dans des aéroports, des hôtels, puis dans des studios de radio le matin. La plupart du temps, c’était des salles d’attente beige avec un éclairage terrible, et nos attachés de presse qui répétaient : «Ne foirez pas ça, bla, bla, bla.»
Je ne peux pas parler pour les autres groupes sur la Warped Tour, mais notre disque… La maison de disques essayait de le pousser, mais ils disaient : «Ça ne décolle pas vraiment.» Ce sont nos fans qui ont fait bouger les choses en faisant monter le clip de Sugar, We’re Going Down sur TRL. Ce Warped Tour-là, c’était le moment où tout a atteint un point critique. C’était la première fois que tu descendais du bus pour te brosser les dents, et il y avait déjà des gens partout, et tu te disais : «Oh, quelque chose est en train de se passer.» Tu ne le percevais pas dans ces salles d’attente beige.
Stump : C’était irréel parce que beaucoup de choses étaient vraiment inattendues. Je sais que ça semble évident, parce que le succès est toujours inattendu. Mais il y avait un décalage total avec notre réalité : on était juste des gars puants, à peine capables de payer la chambre d’hôtel qu’on partageait et où on dormait par terre. Et puis je me rappelle qu’on a reçu une nomination aux Grammy. J’ai reçu un texto sur mon téléphone : «Félicitations pour la nomination aux Grammy.» Je croyais qu’on se moquait de moi. Je pensais qu’on plaisantait.
Wentz : Même aux VMAs… c’était fou. Aujourd’hui, je ne pense pas que ce genre d’expérience se traduise encore dans la culture moderne. C’était un événement massif. On se disait : «Excusez-nous, on ne devrait probablement pas être là. On n’a rien à faire ici.» Puis ils annoncent notre catégorie, et tous les caméramans se précipitent vers nous. Depuis le Warped Tour… j’avais l’impression de regarder ça arriver à quelqu’un d’autre.
Je sais qu’Oceans Calling a été votre dernier concert pour cette année, mais y a-t-il des plans pour une tournée dédiée à l’anniversaire de From Under the Cork Tree?
Wentz : Je ne pense pas qu’il y ait une tournée anniversaire prévue. On a toujours été le genre de groupe à éviter ça. L’idée de la nostalgie est étrange, non? Je suis très nostalgique de plein de films et de musique, tout le monde l’est. Mais on a toujours voulu créer de l’art nouveau et ne pas se reposer sur la nostalgie. Cela dit, on est sortis pour faire Days of Fall Out Boy Past, et c’était tellement amusant parce qu’on a revisité des chansons qu’on n’avait jamais jouées. Certaines, jamais jouées auparavant. Et je me suis rendu compte qu’il y avait des morceaux plus profonds vraiment importants pour les gens. Quand le public chantait avec nous, je me disais : «Oh, je ne pensais même pas que quelqu’un s’intéressait à cette chanson.» C’était revigorant. Ce que je pourrais imaginer… Patrick, je te passe la parole ici?
Stump : Allons-y. Voyons ce que tu proposes.
Wentz : J’écoutais Metallica S&M, et je me suis dit que ce serait tellement amusant d’entendre des chansons de Fall Out Boy avec un élément symphonique. Je ne sais pas si ce serait un hommage direct à Cork Tree, mais je pense qu’on pourrait y intégrer nos plus grands morceaux, peu importe l’album.
Stump : Moi, l’orchestre, ça me parle, je le ferais.
Wentz : On pourrait jouer Ravinia (NDLR: un large festival extérieur à Chicago)… une bouteille de vin…
Stump : Ça serait drôle. Je dis ça, et puis je me dis : «Ça va me demander beaucoup d’arrangements. Beaucoup de travail.» Mais ça semble amusant.
Wentz : Ce n’est pas un communiqué officiel pour Ravinia.
Stump : Mais aussi, hé Ravinia, amenez-nous là-bas. On fera ça avec orchestre…
Beaucoup de groupes font des tournées d’anniversaire. J’en ai vu qui étaient très réussis, mais j’en ai aussi vu où simplement pour s’en mettre plein les poches. Je ne comprends pas comment le faire de manière sincère. Je sais que ça peut sembler drôle, je fais de la pop et beaucoup pensent qu’on ne fait ça que pour l’argent. Mais je jure que l’argent ne me motive pas. Quel est le vieux gag des Beatles? Celui où John Lennon dit : «Écrivons une piscine.» Je ne ferai jamais ça. Si les gens veulent voir Cork Tree, qu’ils viennent nous voir maintenant.
Qu’est-ce qui fait selon vous que Cork Tree continue d’avoir un impact?
Stump : Pour moi, ce qui a toujours été important et explique la longévité de cet album, c’est qu’on n’a jamais cessé de jouer ces chansons. Je n’ai jamais voulu les laisser tomber. Il y a des albums qui ont échoué, et c’était vraiment difficile de les jouer parce que ça faisait mal d’y penser. Mais en général, je n’aime pas faire semblant qu’un disque n’existe pas. Depuis Cork Tree, nos sets incluent toujours une part substantielle de l’album. Je le respecte plus aujourd’hui qu’à l’époque où j’étais jeune. Quand je joue ces chansons maintenant, je m’en soucie beaucoup plus qu’en 2007, parce que je comprends ce que ça signifie pour les gens. Ça crée une responsabilité.
Wentz : Une grande partie de l’impact de cet album témoigne de la façon dont la musique alternative a toujours prospéré et créé cette contre-culture. Ça résonne encore et encore. Il y a des albums qui ont été essentiels pour nous en grandissant, et voir d’autres personnes les adopter… Maintenant, quand tu vois quelqu’un porter un t-shirt Screeching Weasel ou The Descendants, tu te dis : wow, ça continue de vivre. Les jeunes sont là, et ça marche encore.