Avant même de se lancer dans la composition des chansons de son troisième album, Lou-Adriane Cassidy avait une idée claire de la direction musicale qu’elle prendrait. Elle avait en tête l’image d’une adolescente qui écoute sa musique fort en voiture, la fenêtre baissée et la main dans le vent. Avec ses refrains expansifs, ses mélodies accrocheuses, ses arrangements orchestraux et ses textes empreints de vulnérabilité, les 14 titres de son Journal d’un Loup-Garou procurent précisément cet effet.
Sur cet album, le plus abouti de sa jeune carrière, l’artiste de 27 ans expose ses doutes, ses failles et la part d’ombre en elle, le tout en puisant des références dans les contes, la mythologie et le cinéma. Au-delà du clin d’œil à son alter ego de la tournée devenue phénomène culturel Le Roy, la Rose et le Lou[p] qu’elle a mené avec Ariane Roy et Thierry Larose, la figure du loup-garou l’a inspirée de par son côté monstrueux, sans filtre.
Tu as été très occupée ces dernières années. Dans quel état d’esprit étais-tu au moment de composer cet album?
Ça a été un super long processus. J’ai écrit ma première chanson, Dis-moi dis-moi dis-moi, en février 2023, ça fait quand même un petit bout. La suite s’est faite progressivement. La dernière chanson a été composée la veille de l’enregistrement de la voix. (Rires) À l’image du projet, on a passé beaucoup de jours en studio pour l’enregistrement. C’était un processus très minutieux, entrecoupé de la tournée et de plein d’affaires. C’est comme si l’album avait continué de grandir parallèlement aux autres projets que je faisais.
Est-ce que ce contexte particulier a influencé la création?
Oui et non, parce que l’album a été murement réfléchi en amont. Ça a pris peut-être un an de réflexion et de discussion. Souvent, c’est comme ça que je fonctionne. Je pense que j’ai suivi le fil, j’ai réussi à garder la même idée tout au long du processus. Mais c’est sûr que ça a changé des trucs. Le Roy, la Rose et le Lou[p], ça m’a apporté beaucoup de confiance et une perception différente sur la création, la scène, tout ça.
Peux-tu me parler justement de cette idée de départ, de la direction que tu voulais prendre?
Au début, mon idée était sur le plan musical. Je voulais faire quelque chose de beaucoup plus romantique, beaucoup plus arrangé. Avec des codes très pop, même si je pense que cet album est à la fois pop et pas. Je voulais transmettre le sentiment de liberté de l’adolescence. Pour les textes, ça s’est décidé avec la première chanson, qui a aussi été le premier extrait, Dis-moi dis-moi dis-moi. Je ne m’étais jamais permise d’aller là avant, on dirait que ça a donné le ton pour tout le reste et qu’on a voulu suivre ce filon avec Alexandre Martel – avec qui j’ai coécrit les paroles : dans la vulnérabilité, dans l’idée de m’exposer complètement.
Dis-moi dis-moi dis-moi connait un beau succès depuis sa sortie l’automne dernier, alors que la tournée avec Thierry Larose et Ariane Roy marque un jalon dans l’histoire de la musique québécoise. On parle souvent aux artistes de la pression du deuxième album, mais, dans ce contexte, les attentes semblent particulièrement élevées pour ton troisième. Comment le ressens-tu?
J’ai un peu eu le syndrome du deuxième album pour mon troisième! C’est comme si, avec mon premier [C’est la fin du monde à tous les jours], je n’étais peut-être pas encore arrivée au bout… Ben on n’est jamais arrivé au bout de la découverte de soi, mais je n’avais pas encore mis le doigt sur ce que je voulais vraiment incarner. Mon deuxième album [Lou-Adriane Cassidy vous dit : Bonsoir] a plus fait ça. Et celui-ci est très stressant parce qu’il est très vulnérabilisant. J’ai vraiment tout mis dedans.
Je me sens plus fragile et, en même temps, je suis vraiment fière et j’assume tout. Mais la peur de me tromper m’habite!
Musicalement, on sent que tu t’es amusée à puiser dans des influences très variées, notamment sur la pièce-titre. Qu’as-tu appris en créant cet album?
La chanson Journal d’un loup-garou, au début, c’était quasiment une blague. Je me suis dit que j’allais écrire sur les sons que je détestais quand j’étais plus jeune : le blues, le fusion et le scat! (Rires) C’était presque un exercice. De façon générale, j’aime suivre le filon qui mène à l’étincelle, à l’idée. Je réalise avec le temps qu’on a très peu de contrôle sur la création. C’est plus de me rendre disponible à ce qui descend. Il y a quelque chose de libérateur là-dedans.
Au niveau des textes, tes paroles disent souvent tout sans rien dire. Un exemple est la chanson Souffle souffle, qui est énigmatique jusqu’à ce tu chantes cette phrase coup de poing : «Quand un jour j’aurai donné la vie/Me redonneras-tu la mienne/Papa?» Comment as-tu approché cette facette de l’écriture?
Je voulais parler de sujet précis, que chaque phrase soit bien choisie, ait une signification, que ce soit vraiment construit avec sincérité, avec transparence et ne pas me donner le beau rôle nécessairement là-dedans non plus. Et toujours transmettre la complexité des émotions, parfois au détriment du fait qu’on comprenne.
Cette chanson en particulier, Souffle souffle, c’était quand même précis dans ma tête. C’est une lettre à mon père pour parler de l’amour que j’ai pour cette personne malgré l’abandon que j’ai subi plus jeune. Ça parle de la complexité de vivre de l’amour pour une personne qui nous a blessé, de qui on ne peut pas nécessairement se défaire.
Je ne peux pas m’empêcher de citer un extrait de Je pars en vacances, qui fait référence aux commentaires désobligeants que tu as reçus à la suite de ton passage à l’émission Bonsoir bonsoir! : «De toute façon on t’écoute pas ta robe a l’air d’un pyjama». L’opinion publique peut être extrêmement violente. As-tu voulu tourner ce malaise en dérision?
Avoir des commentaires de haine parce que je suis un peu couettée et que ma robe est un peu courte... Je ne m’attendais pas à ça! Sur le coup, c’est sûr que c’était confrontant. Avec du recul, c’est plus rigolo qu’autre chose. La chanson soulève l’absurdité de tout ça. Ce n’est pas juste par rapport à ce public de télévision, mais à tout cet univers, y compris l’industrie de la musique. Comme avec la phrase «De toute façon on t’aimera pas si c’pas un cover des Colocs».
J’ai l’impression qu’on accorde beaucoup d’importance à la grandeur du passé de la culture québécoise sans s’attarder à ce qui se fait actuellement. Personne ne peut savoir qui seront considérés comme les grands artistes de notre génération dans le futur, mais est-ce qu’on peut juste rester ouvert et curieux et se laisser surprendre par la nouveauté?
Tu l’as mentionné plus tôt, Alexandre Martel – mieux connu sous son nom d’artiste Anatole – a coécrit toutes les chansons avec toi en plus de réaliser l’album. Peux-tu me parler de votre dynamique de création?
Alex est quelqu’un d’extrêmement exigeant qui ne tourne aucun coin rond et qui donne toujours absolument tout de lui dans un projet. Il fait la mise en scène du spectacle aussi. Sans lui, rien n’aurait été pareil. Il voit toujours plus large et moi, je vois plus près. On se complète parfaitement.
Il y a aussi beaucoup de collaborations sur cet album : tu interprètes TDF avec N NAO, tu as coécrit Prière quotidienne avec Stéphanie Boulay et Thierry Larose, qui est aussi guitariste sur l’ensemble de l’album. La chanson Ariane est un hommage à Ariane Roy, ton amie d’enfance. Je pense qu’on peut dire que tu aimes t’entourer dans la création, est-ce que je me trompe?
Oui, j’ai toujours été de même. Je ne suis pas… un loup solitaire! (Rires) Avoir les idées d’autres personnes me stimule. J’ai vraiment l’impression d’avoir trouvé mon cercle. Ce sont des gens que je respecte, que j’aime et que j’admire.
À ce sujet, sur Celle-ci vient du cœur en toute fin d’album, tu remercies à voix haute tes collaborateurs, comme si tu lisais un générique de film. Pourquoi était-ce important pour toi?
J’aime fermer un album, marquer le fait que c’est la fin, prendre conscience qu’on vient d’écouter une œuvre et donner un mini pas de recul avant d’en sortir à ceux qui l’ont écouté – je ne sais pas qui va écouter juste les singles ou l’album au complet… On avait cet instrumental de piano à la fin de 16 ans bientôt 30. On se demandait quoi faire avec. Puis, j’ai eu cette idée. Cet album en particulier a tellement bénéficié de la collaboration de tout le monde et j’accorde beaucoup d’importance et d’amour aux gens avec qui je travaille.
- Journal d’un Loup-Garou sera disponible sur les plateformes d'écoute dès le 24 janvier.
- Lou-Adriane Cassidy sera en spectacle le15 février au Capitole de Québec et les 20 et 21 févrierau Théâtre Beanfield, àMontréal.