Skip to content
Recherche

Dominique Fils-Aimé fait à sa tête et écoute son cœur

Premier album live, première tournée aux États-Unis… Décidément, la carrière de Dominique Fils-Aimé s’élance vers de nouveaux sommets. Plongée dans l’esprit libre de cette étoile du jazz à la voix en or

Dominique Fils-Aimé fait à sa tête et écoute son cœur

Caftan: Rick Owens/Bijoux: Collection personnelle et So Stylé

Photos par SACHA COHEN, assisté par JEREMY BOBROW. Stylisme par LEBAN OSMANI, assisté de BINTA et BERNIE GRACIEUSE. Coiffure par VERLINE SIVERNÉ. Maquillage par CLAUDINE JOURDAIN. Production par MALIK HINDS et MARIE-LISE ROUSSEAU.

Vous savez, cette petite voix intérieure qui vous murmure dans le creux de l’oreille de vous méfier de ceci, ou bien d’accorder plus d’importance à cela? Dominique Fils-Aimé l’écoute systématiquement. Surtout lorsqu’on l’incite à agir à l’encontre de son intuition. L’artiste jazz n’a que faire des conventions et des idées reçues. Elle prend chaque graine que la vie sème sur son chemin comme une opportunité à aller de l’avant. À suivre son instinct. À faire à sa tête. À écouter son cœur. Et ça porte fruit.

L’autrice-compositrice-interprète montréalaise tend à remettre en question tout ce qu’on tient pour acquis. C’est le cas des applaudissements entre chaque chanson lors de ses spectacles. Ceux et celles qui l’ont vu sur scène savent qu’elle demande à son public d’attendre la fin de sa performance avant de taper dans leurs mains, question de ne pas interrompre l’état de grâce qu’elle crée à chacune de ses représentations.


«J’ai voulu arrêter le format conventionnel de “parler, chanter, applaudissements, parler, chanter, applaudissements”. Au début, le public trouvait ça confrontant. Beaucoup de gens me disaient : “ça me fait sentir étrange”, raconte-t-elle. Est-ce que qu’on peut soulever ce genre de questionnements plus largement dans nos vies? C’est quoi tous les autres petits réflexes auxquels on est tellement habitués qu’on se sent inconfortable si on ne les fait pas? Est-ce qu’ils ont leur place? Qu’est-ce qu’ils veulent dire? On se dit : “c’est ça qu’il faut faire, donc on le fait”. Questionnons tout. Tout, tout, tout.»

Dominique Fils-Aimé questionne tout, y compris le cycle de création traditionnel de l’industrie de la musique, qui mise sur la sortie d’extraits à la pièce, puis d’un album, puis d’une tournée. Avant même de lancer son premier album, Nameless, elle savait qu’elle voulait produire une trilogie. «Je me suis beaucoup fait dire que les gens n’ont pas le temps d’écouter une trilogie, dit-elle. Mais j’ai envie de prendre le temps. J’ai envie d’inviter les gens dans un processus à long terme. J’ai envie d’offrir la chance à quelqu’un qui serait intéressé d’entrer plus en profondeur dans une démarche artistique. C’est sûr que ce n’est pas pour tout le monde et c’est correct.»

Je n’ai pas envie d’être pour tout le monde, j’ai envie d’être moi.

Cette façon de faire à sa tête et d’écouter son cœur est l’essence même du jazz, le style de musique dont elle est devenue le porte-étendard au Québec et dans lequel elle se reconnait en raison de la liberté infinie qu’il représente. «Le jazz, c’est un mouvement antiacadémique qui part de la déconstruction des balises préétablies. C’est la liberté de faire justement ce que les autres disent que tu ne peux pas faire. C’est un état d’esprit. C’est vraiment mon état d’esprit. Libre dans la création.»

  Manteau de jeans: Repull/Bijoux: Collection personnelle

Dans la pure tradition jazz, Dominique Fils-Aimé a tout récemment lancé un album live immortalisant le grand concert qu’elle a donné l’été dernier sur la scène extérieure de la Place des festivals dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal (FIJM). Un jalon dans sa carrière couronnée de succès, dont l’enregistrement sort précisément dix ans après que le grand public ait découvert son immense talent à La voix.

Lorsque je lui demande ce qu’elle retient de ce spectacle événementiel, Dominique Fils-Aimé pousse un soupir de joie. «Tellement de beaux souvenirs. L’amour, toujours. Les vagues d’amour. Et la gratitude profonde d’être sur cette scène.» Gratitude notamment envers l’équipe du FIJM qui, a-t-elle appris récemment, a pavé la voie vers ce grand concert dès ses débuts.

«J’ai été très chanceuse : dès le départ, le festival m’a soutenue. Au tout début de ma trilogie, mon manager Kevin Annocque et moi, qui avons fondé ensemble le label Ensoul Records, on ne savait pas grand-chose de ce qu’on faisait. Et bien, j’ai découvert après le spectacle de l’été dernier qu’en fait, dès mon premier album, où j’avais joué dans la petite salle en haut du MTELUS [le M2], l’équipe du festival avait déjà tout planifié. Elle avait établi une trajectoire à long terme pour m’amener à la grande scène! Alors que moi, je faisais juste avancer naïvement dans la vie, raconte-t-elle, encore émerveillée par ce soutien. Ce que j’en retiens, c’est qu’on se méfie beaucoup des gens qui pourraient parler dans notre dos ou nous mettre des bâtons dans les roues, mais on devrait plutôt prêter attention aux petits anges sur notre route qui complotent pour notre réussite sans même qu’on s’en aperçoive.»

Un de ces petits anges est Simon Lévesque, son ingénieur de son qu’elle «aime d’amour» et qu’elle considère comme un musicien à part entière de son équipe. De sa propre initiative, il enregistre en format multipiste chaque performance de Dominique Fils-Aimé. Un travail d’archiviste précieux et colossal. «Il nous envoie tous les enregistrements. Je n’écoute rien, mais ils sont là!» lance-t-elle en riant.

C’est ce qu’il a fait au FIJM, alors que personne n’avait envisagé que cette performance donnerait lieu à l’album Live at the Montreal International Jazz Festival. C’est seulement après coup que Kevin Annocque a convaincu la chanteuse qu’il fallait l’immortaliser. «Il m’a dit : “Hey, ça, c’était tout un show! Il faut mettre ça en album”.» Bien qu’elle n’était pas enchantée au départ par cette idée, jugeant que sa performance vocale n’était pas «sa meilleure», Dominique Fils-Aimé a fini par entendre raison. «Au final, j’ai réalisé que tout ce qu’il n’y a pas en perfection, par exemple dans mon chant, on le trouve dans l’émotion. Et ça, ça vaut la peine d’être gardé», a-t-elle fini par concéder. Excellente décision, lui dis-je. «Oui, il fait de bons choix Kevin!»

En effet, il a du flair son gérant. Non seulement la voix chaude et enveloppante de la chanteuse est superbement mise en valeur, autant dans les moments de grande puissance que dans ceux tout en retenue, mais cet enregistrement transmet à merveille toute l’énergie brute qui se dégage de sa musique, amplifiée par la présence de 16 choristes et musiciens à ses côtés. C’est le cas autant dans les moments de recueillement, comme lorsqu’elle chante a capella en début d’album dans un silence monastique – un exploit sur la Place des festivals! – que dans les moments enivrants de purs grooves, comme sur de Grow Mama Grow.

Des improvisations musicales enlevantes, des ruptures de ton surprenantes et des harmonies vocales impressionnantes habillent l’ensemble, qui offre une parfaite synthèse de son répertoire, touchant aux styles musicaux qu’elle a si bien explorés sur ses quatre précédents albums. Le jazz en tête, bien sûr, mais aussi le soul, le R&B, le blues, le gospel et même le rock et le hip-hop. Pour ceux et celles qui, comme moi, n’ont pu assister à ce spectacle ambitieux, c’est un pur bonheur de pouvoir le vivre par procuration.

  Chapeau: Xtinel/Chemisier et veston: Raphael Viens/Bijoux: Collection personnelle et So Stylé 

Cet album parait à une période où les actualités de Dominique Fils-Aimé sont particulièrement foisonnantes. Depuis le début de l’année, il ne se passe pratiquement pas une semaine sans que je reçoive un communiqué de presse faisant état de sa participation à un projet – dont l’exposition universelle d’Osaka, où elle s'est envolée à la fin de juin, et le spectacle Nikamotan MTL, qui crée des ponts entre les artistes autochtones et allochtones – ou rapportant qu’elle s’est illustrée lors d’une remise de prix – ce fut le cas aux plus récents Gala Dynastie et celui de la SOCAN.

L’artiste, qui s’est produite en Suède, en Allemagne, en Espagne, en France et en Angleterre au printemps dernier s’envolera aux États-Unis en septembre pour une série de spectacles. Et entre une poignée d’autres représentations au Québec – elle se produira notamment le 18 juillet au Festif! de Baie-Saint-Paul et le 6 août au Théâtre de Verdure à Montréal –, elle enregistre actuellement son prochain album, qui sera son cinquième de chansons originales en huit ans.

Rien qu’à résumer son emploi du temps, j’ai le vertige. Pour une artiste qui dit prôner la lenteur, elle est drôlement productive. Elle éclate d’un rire tonitruant lorsque je soulève ce paradoxe. «Oui! Wow… Un point pour toi, c’est la première fois qu’on me flag ça, dit-elle, agréablement surprise par cette observation. Tu as 100% raison. Il y a quelque chose là-dedans... Je suis passionnée, un peu extrême dans ce que j’aime. Quand j’aime quelque chose, j’y vais à fond. Je crois avoir une personnalité addictive. J’ai de la chance, je suis tombée dans la musique et non dans le crack, mais dans un univers parallèle…»

Même La maison fauve, qui produit ses spectacles, lui a fait remarquer qu’aucun autre artiste de leur écurie n’a fait autant d’albums et de tournée sans prendre de pause, ajoute-t-elle.

Ironiquement, appliquer les principes du mouvement slow dans son quotidien permet à Dominique Fils-Aimé d’être au sommet de sa productivité, avance-t-elle. «Parce que je suis bien. Je pourrais faire de la musique toute la journée et je n’aurais pas l’impression de travailler. Mais je réalise maintenant que c’est du travail. Et justement, j’ai envie d’apprendre à ralentir.» Elle évoque alors la possibilité de prendre des vacances en 2027 ou 2028 (!), se disant que ça ne serait pas une «mauvaise idée» de prendre un temps d’arrêt. «Mais on dirait que…

- Pourquoi arrêter si tu te sens inspirée?
- C’est ça. Je m’amuse. J’aime tellement ce que je fais.»

 

Malgré son agenda chargé, Dominique Fils-Aimé a en effet l’air particulièrement reposée et sereine lorsque je la rencontre par une de ces trop nombreuses journées froides et pluvieuses du mois de mai dans un établissement du Mile-End où elle a ses habitudes. Il faut savoir que, dans une autre vie, sa carrière en soutien psychologique aux employés en entreprise l’a menée à l’épuisement professionnel. Une grande remise en question s’en est suivie. «Avant, je me définissais beaucoup par le travail; mon identité, c’était ma job. À travers ce burn-out, j’ai vécu une sorte de lâcher-prise qui m’a juste fait suivre ce que la vie m’amenait.» La musique a alors été sa bouée de sauvetage.

Pour se consacrer le plus possible à sa passion, elle décroche un emploi dans un café, ce qui lui laisse du temps pour la création. Ce mode de vie la comble déjà entièrement, confie l’artiste autodidacte. Peu de temps après, elle rencontre Kevin Annocque, qui partage sa vision du succès. Le duo fait alors le pari de créer sans compromis. «On a décidé tous les deux qu’on n’allait pas faire de la musique pour que ça vende, explique-t-elle. Il m’avait dit: “On ne va sûrement pas passer à la radio, on ne va sûrement pas faire plein d’argent, mais si tu es à l’aise de continuer en ayant une job sur le côté, je te promets que tu seras libre.” Ça concordait 100% avec mes valeurs. Parce que des gens avant ça ont essayé de m’approcher en mode “je vais t’amener à tel endroit ”, me parlant de faire des vidéos avec des danseuses… En fait, ils cherchaient une entertainer à mouler. Ils me disaient même: “Pas besoin d’écrire de musique, on va te donner des covers”. Mais moi, j’ai envie d’écrire! J’ai envie de créer!» D’où la gratitude immense qu’a Dominique Fils-Aimé de pouvoir aujourd’hui vivre de sa musique.

  Robe: Helmer/Bijoux: Collection personnelle qc.rollingstone.com  

Bien qu’elle fasse carrière en solo, la chanteuse parle constamment de son travail au «nous». «J’ai la meilleure équipe», répète-t-elle à plusieurs occasions au cours de notre discussion. «Honnêtement, de la bonne musique, il y en a vraiment beaucoup, il faut se le dire. Ce qui fait la différence, c’est l’équipe», insiste-t-elle. Elle s’amuse à dire que 90% de son succès repose sur son entourage et 10% sur son talent. Une proportion qui me semble exagérée. Aurait-elle trop d’humilité? «Je suis très réaliste. Ils méritent toutes les fleurs du monde, vraiment!»

Elle réitère son propos à la fin de la séance photo qui agrémente cette entrevue, séance qui s’est déroulée dans une atmosphère conviviale et détendue, en parfaite cohésion avec sa présence lumineuse. Après quatre heures à prendre la pose devant la lentille de Sacha Cohen, tout sourire et amusée, Dominique Fils-Aimé répète: «C’est 90% l’équipe, 10% le talent!»

Dans son quotidien comme dans son art, Dominique Fils-Aimé met en application les principes qui guident sa vie : l’amour, la paix, la gratitude. Trois mots qui reviennent à plusieurs reprises au fil de notre échange. Et ce, même si on s’est moqué des valeurs soi-disant «naïves» qu’elle incarne, rapporte-t-elle. «En évoluant dans le monde dans lequel on est, je me suis fait ridiculiser. Je le sens chez certaines personnes, on me regarde du coin l’œil, l’air de dire : “t’es cute”. Parler du pouvoir de l’amour comme quelque chose de guérisseur ou de l’importance de l’amour universel, ce sont des notions que les gens rattachent un peu au mouvement hippie.»

Sa réaction? Faire à sa tête et écouter son cœur. Toujours. «Non, c’est pas naïf, c’est pas quétaine. C’est ce qu’on veut tous en fait, la paix et l’amour. Ça fait partie des choses que je questionne : pourquoi est-ce que l’amour et la paix se sont retrouvés avec une si mauvaise réputation?»

Quand j’avance que ces critiques découlent peut-être d’un certain cynisme, Dominique Fils-Aimé s’anime. «Oui, oui! Définitivement. Il y a un peu cette idée que… “C’est bien beau tout ça, mais c’est pas le vrai monde.” Mais oui, c’est le vrai monde, ça fait partie de ce monde, dit-elle. Au final, je ne peux blâmer personne d’avoir ces points de vue, je peux juste, moi, décider de m’en foutre et de m’imposer avec mes croyances malgré tout.»

Mon intention première est de partager l’amour et de bonnes énergies.

Voilà la douce forme de résistance dans laquelle s’est engagée Dominique Fils-Aimé depuis ses débuts. Et il n’y a absolument rien de naïf là-dedans. À mille lieues des #gratitude et des autres mots-clics populaires se résumant à la performance de valeurs, l’artiste est animée d’une conviction profonde. C’est une forme d’activisme chez elle, dans la mouvance du soft power.

«Je pense que la révolution passe par tous les chemins, avance la lauréate du prix Artiste pour la paix 2022, un des nombreux trophées de sa collection, auquel elle accorde une importance particulière. Il y a des gens dont la job est de dénoncer haut et fort et ça, je supporte à 100%. Mais il y a une forme de violence qui vient en retour. Moi, j’ai envie d’être présente dans un espace où je peux donner de la force à ces gens, où je peux promouvoir le monde que j’ai envie de voir.»

Ce qui n’empêche pas l’artiste, qui se décrit comme une hypersensible, de prendre position plus frontalement, comme lorsqu’elle a exprimé son ressenti face aux nombreuses injustices qui défraient les manchettes dans une publication en anglais sur Instagram le 5 avril dernier, qu’on pourrait traduire comme suit : Nous vivons dans un endroit étrange. Je suis profondément reconnaissante pour ma vie, tout en étant profondément attristée par l’état du monde… Je combats la culpabilité et le désespoir inutiles avec l’espoir que ma musique apporte amour et lumière. C’est comme essayer de cultiver la joie tout en étant en deuil. La vie est plurielle. Aussi, “désarmer la police” (defund the police) signifie de réinvestir dans des services plus adéquats. Je vais juste laisser ça ici avec un soupir».

Les politiques déshumanisantes de l’administration Trump l’ont aussi habitée quand est venu le temps de saisir l’occasion de présenter une première série de spectacles aux États-Unis l’automne prochain. Après une longue réflexion, elle en est venue à la conclusion que «c’est possible d’aimer sincèrement tout le monde, même si on n'est pas d’accord avec ce qu’ils font», dit-elle. «Si on ferme la porte à quelqu’un qui pense différemment, et bien, on creuse encore plus les fossés qui nous divisent. Ces fossés me font peur! En plus, c’est amplifié avec les chambres d’écho sur Internet… Tout le monde est dans sa petite bulle avec tout le monde qui pense pareil, et l’autre semble tellement loin et bizarre. Je n’ai pas envie de tomber dans ce panneau. Je n’ai pas envie de contribuer à cette division. Au final, toute personne mérite l’amour.»

  Bijoux: Collection personnelle qc.rollingstone.com  

On l’a presque oublié tellement sa carrière a fleuri depuis, mais on a d’abord découvert Dominique Fils-Aimé à La voix en 2015. Alors qu’elle y participait simplement pour se familiariser avec le processus d’auditions, qui lui était alors complètement inconnu, elle s’est rendue en demi-finale du populaire concours télévisé. «Je voyais ça comme une expérience. J’aime les défis. Si quelque chose me fait peur, il faut que je le fasse parce que je sais qu’une fois que c’est fait, tout d’un coup, ça devient tout petit. C’est toujours pareil. Nos peurs sont plus grandes que la réalité», dit-elle, dans une de ses nombreuses paroles empreintes de sagesse.

Trois ans plus tard, en 2018, elle lance Nameless, le premier volet de sa trilogie d’albums consacrée à l’héritage musical des communautés afrodescendantes. Mais c’est un an plus tard, avec Stay Tuned!, que vient le succès et la reconnaissance. Cette offrande lui vaut le Juno du meilleur album Jazz vocal, le Félix de l’Album jazz de l’année, une nomination sur la courte liste du prix Polaris et le statut de Révélation Jazz Radio-Canada.

Depuis, elle a ajouté deux autres albums à son actif, Three Little Words, qui conclut sa première trilogie, et Our Roots Run Deep, qui marque le début d’un nouveau cycle de création. Les deux lui ont chacun valu une nouvelle mention au Polaris, et le plus récent lui a aussi permis de garnir sa collection de Juno et de Félix. À cela se sont ajoutés dans les derniers mois le Prix Hagood Hardy, décerné par la SOCAN, et celui de l’Artiste s’étant le plus illustré(e) à l’international au Gala Dynastie.

Quand je lui demande comment elle reçoit tous ces honneurs, Dominique Fils-Aimé reconnait avec prudence qu’ils valident sa place dans le milieu de la musique, mais elle préfère ne pas y accorder trop d’importance. «Ça a été un processus de réflexion, parce que je me sens zéro en compétition avec les autres. C’est à l’encontre de mes croyances profondes par rapport à l’art, explique-t-elle. Moi, je suis en équipe avec tout le monde. Mon bien-être dépend de celui du voisin et vice-versa.»

C’est pourquoi elle préfère ne pas garder ses trophées chez elle. «C’est ma petite maman qui les a tous à la maison, dit-elle en esquissant un large sourire. Ils sont au-dessus de sa cheminée. Elle en est vraiment fière. Ça me fait chaud au cœur de pouvoir lui amener ça.» Comme bien des familles issues de l’immigration, les parents de Dominique Fils-Aimé, d’origine haïtienne, ont fait des sacrifices pour offrir de meilleures chances à leur progéniture. «En plus, je viens d’une famille de scientifiques, ma mère est médecin, j’ai toujours été entourée de gens qui font des “carrières sérieuses”… Ces prix ont un peu été une manière d’apaiser son inquiétude quand j’ai fait le choix de me lancer en musique.»

  Robe: Helmer/Bijoux: Collection personnelle 

On dit souvent que la musique envoutante et la voix en or de Dominique Fils-Aimé font du bien à l’âme. Mais sans même émettre un son, l’artiste dégage quelque chose de bienveillant et de rassurant qui inspire confiance. Suffisamment pour que j’ose mettre momentanément de côté ma retenue journalistique pour lui faire une confidence. En lui faisant part du bienfait que me procure sa chanson Quiet Down The Voices, sur l’album Our Roots Run Deep, je vois son regard s’illuminer pendant qu’elle pose ses mains sur son cœur.

«Joie profonde. Tellement. Merci de dire ça. En plus, Quiet Down, je l’ai vraiment composée dans l’espoir de créer un espace de relaxation et de calme pour quelqu’un qui aurait besoin de se recentrer. Parce que si moi j’ai besoin de ça, je me dis que quelqu’un quelque part en a besoin aussi!» dit-elle.

Ce genre de témoignages, elle en reçoit quotidiennement. «Ça me remplit de gratitude que les gens prennent le temps de me partager leur vécu. Ça vaut 10 000 prix. J’ai toujours senti comme une mission de contribuer au bien-être des autres, mais là, j’ai trouvé une manière de le faire qui me fait du bien à moi aussi en même temps. C’est le paradis.»

Elle s’empresse alors de me faire découvrir un morceau qui lui procure le même effet d’apaisement, Sit Around The Fire de John Hopkins. «Personnellement, cette chanson a changé ma vie. J’ai l’impression que c’est un cadeau qui m’a été offert, donc j’essaie de la partager au plus de personnes qui vibrent sur ce genre fréquence. J’ai tellement hâte que tu l’écoutes!» dit-elle, emballée, pendant qu’elle l’enregistre dans la bibliothèque de mon téléphone.

Le bien-être, ce qui nous unit, le pouvoir de l’instant présent, voilà justement ce qu’explore Dominique Fils-Aimé dans sa deuxième trilogie. Déjà, Our Roots Run Deep traitait de croissance, de notre rapport symbiotique avec la nature et de l’interconnectivité entre tous les êtres vivants. À défaut de pouvoir révéler les détails de sa suite, dont la sortie est prévue pour 2026, elle partage ce qui l’anime dans sa création. «J’essaie de matérialiser un concept dont je parle souvent, qui est l’importance de l’intentionnalité dans la musique… On revient à l’enfance, avec le plaisir de créer et de soustraire le mental. Je cherche à rester le plus possible dans l’émotion, dans la spontanéité et la vérité authentique. Je pense que c’est l’état pur du jazz, à la base.»

Le jazz, ça te dit : tout sonne bien. Tu es libre.

Selon elle, sa quête d’authenticité a inconsciemment été freinée par une certaine pudeur à ses débuts. «Avec la première trilogie, j’ai réalisé que ça m’a pris le troisième album pour parler d’amour, pour dire le mot “love”, alors que c’est ce qui m’habite all day long. C’est mon sujet préféré. Ça et boire de l’eau!»

Après une longue conversation s’étant déroulée comme dans une bulle hors du temps, malgré l’ambiance animée du café, j’éteins mon enregistreuse. Après avoir attaché mon manteau et ramassé mon parapluie, Dominique Fils-Aimé me fait une accolade et s’enquiert justement de ma consommation d’eau. Décidément, elle vit d’amour et d’eau fraîche. «Exactement! On est des plantes! C’est tout ce qu’il nous faut vraiment.»

Plus de nouvelles

Rymz et Naomi foncent tête première dans le bonheur

Naomi et Rymz

Andres Anton

Rymz et Naomi foncent tête première dans le bonheur

Depuis la parution de son acclamé album Petit prince en 2016, on surnomme Rymz «le petit prince du rap québécois». On pourrait tout aussi bien coller l’étiquette de princesse de la pop à sa douce moitié, Naomi, dont la musique est diablement accrocheuse. Après s’être mariés l’été dernier, les deux tourtereaux ont chacun sorti un nouvel album cet automne : Vivre à mourir pour Rymz et Un coin sombre pour danser du côté de Naomi. L’occasion était tout indiquée pour échanger à propos des défis et inspirations qui animent leur quotidien. Moments choisis d’une entrevue avec le couple princier.

Vous avez fait le duo Reviens-moi, sorti sur le premier album de Naomi en 2022, et tout récemment, vous avez lancé la chanson Ma pref, qui se retrouve sur Vivre à mourir. Vous qui faites beaucoup de collaborations avec d’autres artistes, c’est comment d’en faire en couple?

Keep ReadingShow less
Charli XCX
Charli XCX Is Dancing on the Edge
Charli XCX Is Dancing on the Edge

À quand un «Brat Summer» québécois?

À moins que vous ne viviez sous une roche – ou en tout cas, loin des réseaux sociaux – vous avez fort probablement entendu parler de Brat, l’album devenu phénomène mondial de la chanteuse britannique Charli XCX, paru au début de juin dernier. Alors que le «Brat Summer» s’achève, quelle empreinte laissera-t-il sur la scène musicale québécoise?

«Charli a une influence partout dans le monde en ce moment, donc inévitablement elle fait son bout de chemin ici», croit Claudia Bouvette, artiste pop québécoise. Elle-même a véritablement découvert Charli XCX grâce à Brat. Un véritable coup de foudre.

Keep ReadingShow less
Musique country : où sont les femmes?

Les têtes d'affiche de Lasso 2024

Montage: Yasseen Ashri

Musique country : où sont les femmes?

Dans les programmations de radios et les festivals country d’ici et d’ailleurs, les femmes peinent à se tailler une place au sein d’un univers encore très masculin – et blanc. Alors que de nombreux admirateurs du genre s’apprêtent à enfiler leurs plus belles vestes à frange, bottes de cuir et chapeaux de cowboy pour accueillir la troisième édition du festival Lasso, regard sur les disparités flagrantes du country.

En jetant un coup d’œil à la programmation de Lasso, on constate que même si les femmes comptent pour le tiers de la programmation, toutes les têtes d’affiche du festival sont des hommes. Parmi eux, les sensations américaines Eric Church et Sam Hunt, de même que Dustin Lynch, Tyler Hubbard, Brett Young et Kip Moore. Seule Megan Moroney a réussi à se faufiler en début de soirée, vendredi à 18h05.

Keep ReadingShow less