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À quand un «Brat Summer» québécois?

Le temps d’un été, Charli XCX est devenue un véritable symbole d’innovation dans la culture pop.

Charli XCX
Charli XCX Is Dancing on the Edge
Charli XCX Is Dancing on the Edge

À moins que vous ne viviez sous une roche – ou en tout cas, loin des réseaux sociaux – vous avez fort probablement entendu parler de Brat, l’album devenu phénomène mondial de la chanteuse britannique Charli XCX, paru au début de juin dernier. Alors que le «Brat Summer» s’achève, quelle empreinte laissera-t-il sur la scène musicale québécoise?

«Charli a une influence partout dans le monde en ce moment, donc inévitablement elle fait son bout de chemin ici», croit Claudia Bouvette, artiste pop québécoise. Elle-même a véritablement découvert Charli XCX grâce à Brat. Un véritable coup de foudre.


«Je suis normalement moins dans l’électro. Dans la vie de tous les jours, j’écoute plus du folk et de la vieille musique. Mais là, Charli me fait tomber en amour avec un style auquel je ne m’étais pas attardée jusqu’à présent. Mon prochain album est déjà complété, mais il est fort possible que les prochaines chansons que je vais écrire reflètent cette influence qui me vient de Brat», envisage-t-elle.

Comment se fait-il que ce soit maintenant, avec ce sixième album studio, que Charli XCX obtienne enfin son grand moment de gloire? D’emblée, soulignons que Brat est indubitablement un excellent album. Musicalement, il marie des sonorités avant-gardistes avec des influences hyperpop, tout en restant accessible et accrocheur pour un large public.

En abordant dans ses textes des thèmes matures, personnels et universels comme les traumatismes intergénérationnels et les questionnements existentiels à l’idée de devenir mère, la popstar a créé une œuvre profondément significative pour ses fans. De plus, et c’est très important dans son cas, l’esthétique visuelle audacieuse de Charli XCX et l’engagement constant de l’artiste sur les réseaux sociaux ont renforcé l’enthousiasme autour de Brat, faisant déjà de cet album, à peine vieux de trois mois, un incontournable de la pop contemporaine.


Microgenre né au début des années 2010 au Royaume-Uni, l’hyperpop se distingue par une approche maximaliste de la musique pop, intégrant des éléments de l’électro, du hip-hop et de la musique dance.

Selon Alican Koc, qui vient de compléter un doctorat en communications à l’Université McGill et qui s’intéresse de près au phénomène, «l'hyperpop représente la pop atteignant un point de conscience de soi. C’est de la pop sur de la musique pop». Le genre doit beaucoup à PC Music, le label d’A.G. Cook, qui a popularisé ce son avec des artistes comme SOPHIE et Charli XCX elle-même.

Bien que l’hyperpop pourrait être perçu comme un son agressant, les oreilles du public s’y sont graduellement habituées grâce au travail de plusieurs producteurs du genre au cours des 10 dernières années, avance Naomi, chanteuse pop québécoise et fan finie de Charli XCX.

«Quand Charli est arrivée avec Brat en 2024, ça avait l’air moins fou que quand sa mixtape Pop 2 est sortie en 2017. À l’époque, pour le grand public, c’était juste ‘what the fuck’. Seulement les fans initiés pouvaient comprendre. »

Pour le grand public?

À Montréal, Alican Koc observe un fort engouement pour l’hyperpop. Il cite en exemple «l’immense party» organisé au Bar Waverly dans le Mile-End le soir de la sortie de Brat. Ce genre de célébration pour souligner la parution d’un album venant d’ailleurs est très rare. Des soirées spécifiquement hyperpop sont aussi de plus en plus souvent organisées dans la métropole, indique-t-il.

«Montréal est une plaque tournante pour les tendances web. Plusieurs grands noms de l’internet sont basés ici et une scène physique, souvent la scène rave, y est également associée», poursuit-il.

Naomi cite Xela Edna, Kaya Hoax, Rosso Modo parmi les artistes qui font de l’hyperpop de manière convaincante au Québec. Mais sur la scène dite mainstream, elle n’est pas convaincue que le public d’ici soit prêt à recevoir ce type de musique, quoique «peut-être un peu plus depuis Brat».

«Les gens trouvent encore ça weird», dit-elle sans détour.

Virginie B, qui sortira un album hyperpop en septembre, a récemment été comparée à Charli XCX sur Instagram par le chroniqueur musical Nicolas Ouellet. Elle se dit très curieuse de voir la réception qu’aura son projet.

«Je vois de gros points d’interrogation dans les yeux des gens quand je présente mes nouvelles chansons en spectacle, dit-elle. Mais au moins, ce sont des points d’interrogation empreints de curiosité.»

Selon Chloé-Anne Touma, analyste experte des nouvelles technologies et de leur impact sur la société ainsi que des médias, la musique de Charli XCX ne pourrait pas passer à la radio commerciale au Québec.

«Au Québec, la machine de l’industrie musicale est très verticale, laissant peu de place à l’émergence de courants qui n’auraient pas été influencés par les labels, les producteurs et les diffuseurs détenteurs d’un monopole sur le marché. Il n’y a pas tellement d’options pour faire entendre ta musique quand tu ne fais pas partie de l’élite, c’est le problème de la chasse gardée», se désole-t-elle.

Dans un marché petit, saturé, avec des décideurs «paresseux» qui n’ont pas la volonté de trouver de nouveaux talents autrement que par des émissions populaires comme Star Académie ou La Voix, c’est très difficile, ajoute-t-elle, quelque peu désabusée.

Même Claudia Bouvette, qui connaît un succès populaire, partage cet avis. «Je pense que le public québécois est ouvert quand ça vient d’ailleurs, mais quand ça vient d’ici, on est plus confortable dans quelque chose qu’on connait. C’est pourquoi on entend beaucoup les mêmes artistes sur les plateformes mainstream. Il n’y a pas beaucoup de place pour autre chose.»

Elle cite en exemple certains de ses amis artistes qui font de la musique en dehors du moule et qui sont considérés comme trop excentriques pour se tailler une place. Elle-même dit se heurter à une certaine limite dans l’attention qu’elle peut aller chercher en raison de son côté plus alternatif.

Une voix pour l’affirmation personnelle

Si l’industrie musicale d’ici n’est pas encore ouverte à une Charli XCX québécoise, il n’en demeure pas moins que son influence est évidente et que la musique d’artistes hyperpop pourrait devenir de plus en plus diffusée sur des plateformes alternatives. Virginie B se réjouit pour sa part de sortir un album hyperpop à une époque où ce genre a la cote.

«Plus il y aura de gens qui affirment leur individualité comme Charli XCX le fait, de façon libre et sans complexe, en s’exprimant haut et fort sans peur de déranger, meilleure sera la musique», estime-t-elle.

C’est justement cette dimension d’authenticité, d’affirmation de soi et de désinvolture qui pourrait constituer l’apport le plus significatif de Charli XCX à la scène musicale d’ici.

Peu importe le style de musique, pour la chanteuse montréalaise Laraw, c’est la confiance inébranlable de Charli XCX qui l’inspire profondément. «C’est rafraîchissant de voir une artiste avoir le contrôle de son art et de son narratif à ce point», confie-t-elle.

Charli XCX incarne pour elle l’exemple parfait de ce qu’il est possible de réaliser lorsqu’on croit en son art et qu’on refuse de se laisser dicter des règles par les autres. Laraw admire sa capacité à rester fidèle à elle-même, peu importe les obstacles. «Je crée l’art que je veux, quand je veux. It’s mine, et c’est Charli qui m’a appris ça.»

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