En février dernier, Alvvays a pris un moment pour réfléchir à son parcours. Le groupe indie-pop canadien était sur le tapis rouge des 66e Grammy Awards, un fait qui lui en soi semblé délicieusement absurde autrefois. Mais leur chanson Belinda Says — un moment scintillant de l’album Blue Rev (2022), qui intègre des paroles de Belinda Carlisle — était nominée pour la meilleure performance de musique alternative. Ainsi, la chanteuse Molly Rankin, la claviériste Kerri MacLellan, le guitariste Alec O'Hanley et la batteuse Sheridan Riley ont répondu aux questions sur le même tapis glamour foulé ce jour-là par Billie Eilish et Dua Lipa. «Qu'est-ce qu’on a appris? a répété Rankin. Peut-être comment assembler une tenue?»
Alvvays a perdu face à Paramore ce soir-là, mais ça n’a pas vraiment d'importance. Le moment était une validation pour les fans qui soutiennent le charmant groupe canadien depuis longtemps — une décennie, pour être exact. En effet, il y a dix ans cette année, Alvvays sortait son premier album éponyme. Il était clair dès le départ que c'était un classique instantané, même avant que nous sachions exactement comment prononcer leur nom. (Pour ceux qui se posent encore la question, ça se prononce always.)
Alvvays semble être apparu de nulle part, même si le groupe vient en fait de l'Île-du-Prince-Édouard. Combien de bands indie inconnus font un début aussi fort, avec neuf titres irréprochables, d’un peu plus de 30 minutes? L'album est un parfait exemple de son genre, une explosion d'indie-pop fantaisiste et joyeuse, hors du temps. Dix ans plus tard, on l’écoute toujours en boucle, du magnifique Next of Kin à l'anti-chanson d'amour par excellence, Archie, Marry Me. Cette dernière compte maintenant plus de 100 millions de streams sur Spotify — cela fait beaucoup d'invitations, de compositions florales et de machines à pain à oublier. «C'était la chose la plus romantique à laquelle je pouvais penser à l'époque,» a déclaré Rankin à Rolling Stone.
Alvvays - Archie, Marry Me (Official Video)youtu.be
Pour de nombreux groupes émergents, un premier extraitcomme Archie, Marry Me éclipse le reste de l'album, mais ce n'est pas un problème pour Alvvays. L'album s'ouvre avec Adult Diversion, un hymne millénial sur le thème inépuisable de l'amour non réciproque. Il y a beaucoup de chansons sur ce sujet, mais peu ont le courage d'être aussi spécifiques que Rankin à propos des pensées d’amourette limite effrayantes que tout le monde a, à un moment ou à un autre. «How do I get close to you?, chante Rankin. Even if you don’t notice/As I admire you on the subway.» (Comment puis-je me rapprocher de toi, même si tu ne remarques pas/Alors que je t’observe dans le métro.) Elle vous amène avec elle dans son moment le plus inconfortable, se demandant si elle devrait poser un geste: «Is it a good time?
Or is it highly inappropriate?» (Est-ce un bon moment, ou est-ce hautement inapproprié?)
Et parce qu'elle est Molly Rankin, cette phrase est un petit refrain ridiculement accrocheur en soi. Son interprétation rêveuse mais soignée montre ce qu'elle avait appris en faisant partie d'une famille musicale (le collectif folk néo-écossais, les Rankins). Le jangle studieux du guitariste Alec O'Hanley reflétait des années d'histoire de l'indie sous un nouveau jour. Le son étouffé du producteur Chad VanGaalen ajoutait y du grain, faisant que tout cela sonne comme un des vieux bootlegs qu'ils auraient pu dénicher dans une brocante.
Après Archie vient Ones Who Love You, le genre de troisième toune qui fait exactement ce qu'elle doit faire. C'est une retombée délicate du drame impassible de Archie, Marry Me, mais elle continue de nous captiver avec ses paroles mélancoliques sur le temps tumultueux.
Alvvays - Party Policeyoutu.be
L'album atteint son apogée avec la déchirante Party Police, qui était une sorte de All Too Well pour les fans d'indie rock des années 2010. Ce morceau-ci n'est pas aussi long, mais il est tout aussi dévastateur, alors que Rankin surmonte sa timidité pour supplier quelqu'un qu'elle apprécie de rester un peu plus tard : «You don’t have to leave/You could just stay here with me/Forget all the party police/We can find comfort in debauchery.» (Pas besoin de partir, tu pourrais rester ici avec moi/ Oublie la police du party, on trouvera le confort dans la débauche.)
Le temps est toujours mauvais. C'est un été pluvieux, il y a des ouragans quotidiens. Puis cela s'estompe dans The Agency Group, qui souligne un éclaircissement dans les nuages.
Alvvays a circulé dans les oreilles des fans de musique à Toronto pendant quelques mois avant d'être repris pour une sortie aux États-Unis, sur Polyvinyl Records. C'est rapidement devenu un succès de bouche à oreille à l'été 2014, le genre de disque dont vous deviez parler à vos amis, ou aller voir un concert pour découvrir si les chansons étaient aussi magiques en personne (elles l'étaient). À la fin de l'année, les membres d’Alvvays étaient fermement établis comme les leaders de l'indie-pop, séduisant à peu près tous ceux qui avaient déjà apprécié un album de Belle and Sebastian ou Camera Obscura. Ils ont pris leur temps depuis, sortant exactement deux albums de plus, avec Antisocialites en 2017 suivi de Blue Rev, l'album qui les a conduits aux Grammys. Chacun d'eux est un chef-d'œuvre indie à part entière. Mais il y a encore quelque chose de spécial dans le disque qui a tout commencé.
L'année dernière, j'ai demandé à Rankin ce qu'elle avait en tête pour l'anniversaire de leur premier album. «Il y a beaucoup de brainstorming en cours, a-t-elle répondu. J'ai pas encore trouvé ce qu'il faut faire.» Le résultat, comme nous l’avons récemment appris, est une réédition de l'album sur vinyle, avec la piste bonus Underneath Us. Dix ans, dix morceaux de perfection indie.
Pour ceux qui souhaitent découvrir (ou redécouvrir) Alvvays, le groupe se produira au Festival Osheaga, le 4 août prochain.